Spark Master Tape, l’énigme qui hantera vos nuits

mardi 31 mai 2016, par Olivier Cheravola.

« Tout a commencé avec du #SWOUP et une grenade. » C’est avec ce genre de mail mystérieux que le rappeur masqué Spark Master Tape répond aux demandes d’interviews. Cultivant soigneusement une image sombre à l’esthétique DIY soignée, le rappeur anonyme se poste en embuscade à chaque sortie de projet, bien décidé à en découdre avec l’industrie musicale et l’establishment. De quoi titiller la curiosité et devenir accro à sa musique plus rapidement que prévu.

Personne ne sait réellement qui est Spark Master Tape et d’où il vient. Masqué dans toutes ses vidéo, il surgit sans prévenir pour disparaitre aussi rapidement et tranquillement qu’il est apparu, sans donner d’indice sur son retour. Armes à feu, dope, masques à gaz, le mystérieux rappeur développe pourtant depuis 2013 une esthétique intrigante et addictive. Au point qu’il puisse bien être ton rappeur favori mais que tu ne le saches pas encore.

« WE GOT GUNS, GUNS, GUNS, GUNS, WE SLANGIN »

Dans sa dernière vidéo en date tirée du projet Silhouettes of a Sunkken City, Spark est très clair sur ses intentions : “I used to love rap, but now it’s all about the money.” Derrière cette fausse déclaration d’amour au dollar, la vidéo sublime la noirceur du propos et fait tomber une pluie de pièces, de joyaux et de fine poussière dorée sur des filles à moitié nues, le tout filmé en slow motion dans une back room que n’aurait pas renié Gaspard Noé pour son prochain film.

Pourtant, si on l’on retrouve là les codes du gangsta rap tendance Dirty South – géolocalisation présumée du rappeur masqué -, difficile pour autant de se sentir en terrain totalement connu. Savamment bricolée sous ses faux airs cheap, l’imagerie entourant SMT et son crew Paper Platoon n’est évidemment pas laissée au hasard et brouille les pistes avec suffisamment de malice pour devenir intrigante et addictive.

Imaginez donc Juicy J sous hallucinogène rencontrant l’univers flippant et glauque de Devil’s Rejects. Un rap sale et torturé reprenant la figure du bad guy masqué, cher aux meilleurs slasher movies. On pense àTexas Chainsaw ou encore The Purge, mettant en scène des tueurs masqués éliminant méthodiquement le temps d’une nuit des groupes d’individus jugés parasites par la société. Sauf qu’à l’inverse, la musique de SMT ressemblerait plutôt à un conglomérat de frustration venu des bas-fonds. Une horde de Morlocks masqués qui prendrait les armes pour rétablir la balance sociale. De quoi plaire aux Anonymous.

“We’re the wu-tang, we’re the bootcamp, you’re the hanson brothers »

Dans l’une des rares interviews du rappeur (ou de la rappeuse, qui sait ?) SMT file la métaphore sybilline : « Né dans les abysses, grandi dans les égouts, Spark vient de l’océan de Peur Bleue, celui où Samuel Jackson s’est fait bouffer par le requin. » Il sera difficile d’en savoir plus sur l’histoire et la genèse de Spark, même en fouillant les limbes du net. Apparu en 2013 pour la première fois, le rappeur n’a cessé depuis d’alimenter les théories les plus farfelues sur son identité. Les plus complotistes allant jusqu’à faire de lui le fantôme de Lil Ugly Mane, l’alias de Bubba Sparxx, Eminem (après tout le manager de Slim Shady, Paul Rosenberg, est le premier fan de SMT) et bien évidemment…Tupac.

A priori, pourtant, rien de bien neuf sous le masque à gaz. Des mecs cagoulés dans la musique, on en trouve partout et pas que chez Slipknot ou Daft Punk. Dans le rap, citons au hasard Fuzati, chantre du novö-rap chiant versaillais, le new-yorkais MF Doom et plus récemment le rookie Kekra. Sauf que Spark Master Tape tue dans l’oeuf toute volonté de buzz facile. Là où les autres rappeurs peuvent se contenter de l’anonymat comme seule proposition, celle de SMT est beaucoup, beaucoup plus complexe et se rapproche plus de l’oeuvre d’art totale que de la simple vidéo provoc’.

Le côté DIY de la musique de SMT n’a rien du vœu exaucé au coin d’une lampe magique. Tout semble calculé dans cette esthétique foutraque estampillée sous le hashtag #SWOUP. La technique de rap est irréprochable et quand les beats lorgnent vers la nostalgie en empruntant à Pharcyde, c’est pour mieux se faire piétiner par des sirènes de police et des bassdrums tapageurs. Paper Platoon, le beatmaker qui donne aussi son nom au collectif hybride entourant Spark, donne dans l’intemporel. Entre carambolages sonores inspirés de la trap et clins d’oeil au rap 90s – les plus malins auront reconnu Talib Kweli par ci, Greg Nyce par là – les beats servent d’écrin parfait au flow torturé de SMT. La technique de Paper Platoon selon le rappeur masqué : « Généralement il roule 4/5 moquettes magiques, s’enferme avec sa MPC et son Pentium 2. C’est quelqu’un qui sample des films russes des années 40 pour en tirer des dialogues. » Une vision comme une autre d’un après-midi idéal après tout.

« I get that Amber Rose Pussy »

Outre l’imagerie sauvage et les beats dantesques, c’est évidemment sa voix pitchée dans les graves qui fait la marque de fabrique évidente de Spark Master Tape. Un effet que les plus aguerris du rap Dirty South auront reconnu comme clin d’œil appuyé au style de Houston. Une fois accoutumé à l’effet, son coté menaçant s’estompe pour laisser place à quelque chose de plus intime. L’humour grinçant des textes, évitant soigneusement la vacuité du genre trap et l’enlisement dans le commentaire social relou, n’est pas étranger non plus à cette sensation d’avancer dans des terres inconnues et familières à la fois.

spark-master-tape

Quand en 2013 sort Syrup Splash, sa première mixtape détournant la cover de The Chronic en faisant figurer un adolescent blanc tendance Awkward Family à la place de Dr Dre, Spark a déjà son concept bien en main. On retrouve sur la tape des odes au girl empowerment comme « Amber Rose Pussy » côtoyant des témoignages poignants sur la perte d’un homeboy avec « My Uzi on Instagram ». À travers un kaléidoscope de pop culture mêlant vieilles interviews de Mike Tyson, extraits de télérealité et cartoons, SMT revisitait déjà le mythe américain dans une version de Alice au Pays des merveilles sous influence, où le narrateur ne laisserait pas Alice s’en tirer vivante.

L’ordre public n’a jamais aimé les trublions masqués. Il n’y a qu’à voir le mal que se donnent BFM TV et les médias qui s’alignent sur le mot d’ordre étatique à discréditer les mouvements sociaux qui agitent la France récemment. Le masque fait peur, dérange, interroge. Si chez Banksy, Belphegor, Fantômas il évoque aussi le mythe et le mystère, il pourrait aussi tout bonnement servir de cache misère à un rappeur n’ayant pas vraiment grand chose à dire. Loin de la formule facile, Spark Master Tape frappe pourtant juste et fait appel à des émotions archaïques où se mêle peur et désir d’en savoir plus. Un peu comme si tes démons intérieurs sous codéine/Sprite s’étaient mis à écouter du Young Thug et venaient tambouriner à ta porte. Et c’est peut être là le vrai tour de force de SMT : réussir à rendre son anonymat suffisamment universel pour que chacun y tire une résonance avec sa propre histoire.

Que Spark Master Tape soit un alias de rappeur connu trouvant là une aire de récréation ou un simple mec trifouillant sa musique dans sa chambre d’ado, une chose est sûre, quelques écoutes suffisent à rendre accro, jusqu’à vouloir à tout prix partager sa discographie, peut-être dans le but inconscient de le faire exister concrètement. Dans un tweet mystérieux, SMT prévenait ses fans avant son retour :  “2016 sera l’année où nous sortirons de l’océan. Nous sommes prêts. Au nom du Spark, du Paper Platoon et du saint #SWOUP. » Amen.

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