« Un jour peut-être » réhabilite le rap alternatif

dimanche 23 février 2014, par Simon Boileau.

N’en déplaise à ces grandes gueules de Mayas, le 21 décembre 2012 n’a finalement pas vu l’Histoire de l’humanité sombrer connement dans le sang et les flammes. Tant mieux, c’est toujours ça de pris. En revanche, cette date finalement pas si pourrie a vu naître une autre histoire avec un « h » minuscule, celle d’une réhabilitation. C’est en effet ce jour-là que le teaser d’un hypothétique documentaire sur le rap alternatif français s’invite sur les tubes sans crier gare. Laissée traîner là timidement par ses auteurs histoire de prendre la température, cette bouteille à la mer est tout de suite réceptionnée par un public enthousiaste. Ragaillardis par les milliers de vues au compteur accumulées en même pas une semaine, les trois compères à l’origine du truc s’attèlent corps et âmes à ce noble projet.

Dans les mois qui suivent cette entrée remarquée, peu d’informations filtrent sur l’avancée des travaux : personne ne sait exactement qui est derrière tout ça et le compte Facebook est laissé à l’abandon. On commence à douter sérieusement de la sortie du film et les plaisanteries sur le titre vont bon train. Quoi de plus normal, me direz-vous. Et pourtant, une pige et quelques plus tard, le film est bouclé vaille que vaille et une première projection est annoncée à la Bellevilloise. Toujours dans les bons coups, les filous de chez SURL ont naturellement répondu présent le 13 février dernier et s’en vont gracieusement vous narrer leurs impressions. Ne nous remerciez pas, c’est la famille.

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« Le rap « alternatif » ne définit pas un genre en particulier. Il n’est pas homogène, c’est plutôt une catégorie de rappeurs qui essayent quelque chose de différent de la mode. C’est aussi un rap qui assume le risque de ne pas plaire au public rap du moment, ou alors s’en fout totalement. J’ai tendance à l’imaginer comme un labo du rap du futur… »
François Recordier

UN JOUR PEUT-ÊTRE est donc un documentaire de 52 minutes articulé en six actes et un épilogue. Le titre est emprunté à une mixtape collective parue sur Kerozen, le label de La Caution en 1999. Sous-titré une autre histoire du rap français, son dessein est de raconter la naissance, l’évolution et l’héritage du rap alternatif hexagonal. Bien entendu, cette notion fait débat jusque parmi les rangs des rappeurs catalogués « alternatifs ». Ils y voient une étiquette fourre-tout avilissante mais bref, on y reviendra. Chaque chose en son temps. Le film est l’oeuvre de Romain Quirot, Antoine Jaunin et François Recordier à savoir respectivement un réalisateur, un journaliste et un musicien-pizzaiolo. Les trois acolytes ont pris le parti de confier la parole aux acteurs du mouvement sans interférer, soit sans voix-off aucune. Un genre de No DJ version du documentaire. Aussi, se relaient à l’image de nombreuses gueules emblématiques de la scène alternative dont l’incontournable Teki Latex – et je dis pas ça seulement parce qu’il est gros hein, mauvaise langue va -, les deux frères Nikkfurie et Hi-Tekk de La Caution, Gérard Baste, Dabaaz, Greg Frite, Fuzati, Grems, Dj Fab et consorts… mais aussi Disiz, dont il n’est pas hors de propos de s’interroger sur ce qu’il fout là exactement : si tu considères que Peter Punk c’était un délire alternatif, trace ton chemin gringo, y a rien pour toi ici. Sur l’autre berge, Fred Musa vient (courageusement) jouer les porte-étendards du grand méchant rap mainstream; celui qui tâche, gangréné par les clichés et à la botte de Pierre Bellanger. Pour finir, Olivier Cachin – qui a manifestement droit de cité dans toute entreprise liée de près ou de loin au rap en France – vient apporter son éclairage sur tout ce bin’s.

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« Le rap c’est pas grave »
Teki Latex

Ainsi, le film croise images d’archives et témoignages. À grands renforts de passages de clips et de bribes de live, il fait revivre un pan méprisé de l’histoire du rap. Âge d’or pour certains, grande récréation pour d’autres, la période décrite est confrontée au regard mûri (et désillusionné ?) des artistes aujourd’hui. Il est plaisant de donner un petit coup d’oeil dans le rétroviseur et retrouver cette période où une bande de fous furieux s’est infiltrée dans une brèche de la forteresse austère du rap jeu pour tout baiser là-dedans. En effet, que l’on apprécie ou pas ces rappeurs, il est indéniable que les intéressés ont décomplexé la scène hip-hop française, cette grande dame frigide qui avait ses principes. L’envie commune de tout bousculer, déplacer les lignes entre les courants musicaux et sortir le rap de ses carcans est au final ce qui soude véritablement les artistes du courant alternatif – bien davantage que leurs influences, patchwork artistique sans grande cohérence. Si aujourd’hui un rappeur de Caen, blanc et de classe moyenne est pris au sérieux (toute ressemblance avec des personnes tout ça tout ça ne saurait être que fortuite), c’est bien parce que d’autres ont essuyé les plâtres avant lui, qu’on se le dise ma gueule.

« Notre public ne nous ressemble pas forcément… au contraire… C’est un rapprochement autour d’une œuvre artistique appartenant à tous les gens un poil aguerris musicalement, peu importe le genre… C’est notre force et ce qui nous comble. »
Nikkfurie

Pourtant, le documentaire souligne combien l’héritage de pionniers aussi turbulents que les TTC ou Gérard Baste semble lourd à porter pour la nouvelle scène. Par crainte d’être catalogués bizarres à l’instar de leurs prédécesseurs, les freshmen préfère revendiquer des influences du côté de figures nettement moins clivantes. Certains artistes interrogés ont l’air de souffrir de ce manque de reconnaissance des pairs et du grand public, d’où une amertume palpable. En sortant des sentiers battus quitte à laisser la gloire en chemin, ils ont largement œuvré pour faire du rap un espace de liberté et n’ont droit qu’à un silence gêné. UN JOUR PEUT-ÊTRE tombe à point nommé pour rectifier le tir.

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« Ce qui m’a poussé à réaliser ce documentaire, c’est qu’il y avait une vraie dramaturgie dans cette histoire : des rêves de grandeur, des déceptions et cette envie, belle parce que naïve, de changer le rap français.»
Romain Quirot

Si les auteurs se défendent d’avoir fait un film destiné aux puristes, c’est bel et bien les nostalgiques de cette scène qui ont dès le début soutenu le projet. C’est également les fans qui auront le plus de plaisir à visionner le film. De plus, le parti-pris de non-intervention (qui se traduit comme dit précédemment par l’absence de voix-off) conduit le docu à adopter tacitement le point-de-vue des artistes interrogés sur leur propre parcours. Les évènements sont perçus au prisme de leur subjectivité et c’est là où le bât blesse : brillants quand ils réinventent le rap avec désinvolture, les rappeurs alternatifs deviennent terriblement agaçants à la seconde même où ils commencent à se prendre trop au sérieux. Certains sont lucides sur leur parcours et donnent même parfois dans l’autodérision, à l’image de Gérard Baste dont les interventions sont délectables et très justes. D’autres, un tantinet égocentriques, sont convaincus d’avoir changé la face du rap d’où une fâcheuse tendance à bâtir leur propre légende. Ainsi, un Fuzati intransigeant déclare que si Skyrock l’invite, il n’ira pas car cette radio a fait trop de mal au rap. Prends ça, Fred Musa.

Il est manifeste que ce courant a eu des retombées très positives sur le climat rapologique national. Mais de là à prétendre que le rap est sclérosé et « ne s’intéresse qu’à lui-même » (dixit Grems), il y a un pas que nous nous refusons à franchir. Certes, des albums très singuliers comme Bâtards sensibles ont contribué largement à décloisonner les genres. Toutefois, le rap alternatif n’a pas le monopole de l’innovation. Il serait abusif de déclarer que le rap dit classique (soit tout le reste, grosso modo) n’est pas capable de se réformer. Chacun à leur façon, des insiders comme DJ Mehdi (Les Princes de la ville avec 113 en 1999. D’ailleurs voici ce que nous disait Oxmo à ce sujet l’an dernier) ou Doc Gynéco (Première consultation en 1996) ont réussi le tour de force d’insuffler des sonorités et des thèmes complètement inusités dans le rap sans pour autant se priver d’un succès public – celui-là même qui a si souvent manqué aux artistes alternatifs.

Bref, que l’on considère cette autre histoire du rap français comme un simple épiphénomène ou une époque dorée, UN JOUR PEUT-ÊTRE vaut le coup d’oeil. Si le documentaire pèche par une légère complaisance avec son sujet, il demeure très sympathique. « Trop bizarre pour vivre, trop rare pour mourir », cette génération sacrifiée mérite amplement la réhabilitation offerte par les trois auteurs.

Nous vous conseillons vivement de vous pointer à l’une des projections de la tournée pour découvrir UN JOUR PEUT-ÊTRE par vous-même.
Prochaines étapes :

le samedi 1er mars à Lyon au Ninkasi
– le vendredi 7 mars à Bruxelles au cinéma Galeries
le dimanche 9 mars à Rennes au TNB
le 14 mars à Paris à la Gaîté Lyrique
– le mercredi 19 mars à Bruxelles
– le samedi 26 avril à Lille à l’Hybride

Côté distribution, les auteurs ont évoqué en interview une future édition DVD gorgée de bonus. Une diffusion TV serait également en négociation. Restez tunés comme on dit chez les Amerloques.

Pour toutes les infos et dates de la tournée, rendez-vous sur le compte Facebook officiel.

Affiche Un Jour peut-être

Sources
– Interview sur Confliktarts.com (06/02/2014)
– Interview sur Foolish.fr par Victor Branquart (11/02/2014)
– Article de Konbini par Tomas Statius
– Interview des auteurs Romain Quirot et Antoine Jaunin dans Le 15-16 de François Saltiel (05/02/2014, Le Mouv)

Crédits photos : ©Duquenne

 

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