Best of the Bests : cinq vérités sur Eminem

mercredi 13 juillet 2016, par Kévin.
Depuis sa création dans les ghettos new-yorkais des années 70, le hip-hop a fait du chemin. Culture transgénérationnelle et complète qui fait se cotoyer amateurs de trap et amoureux de boom bap poussiéreux, son public est aussi varié et imposant qu’il peut l’être. Notre rubrique Best of the Bests propose de prendre un peu de recul en revenant sur cinq vérités qui ont fait le parcours des légendes du rap d’hier et d’aujourd’hui. Un cours de rattrapage pour les uns, une plongée nostalgique pour les autres. Avant tout, une occasion de déguster, sans prétention, la crème de la crème.

Il y a de ces artistes dont le nom évoque une époque révolue emprunte de nostalgie. Un nom auquel on vouera toujours au fond de nous le plus grand respect, quoiqu’il advienne. Eminem est définitivement de ceux-ci. Le plus célèbre des rappeurs blancs – des rappeurs tout court ? – s’est attiré la sympathie d’une foule de fans qui connaissent la vie de leur héros sur le bout des doigts. Il suffit de consulter sa page Wikipedia, incroyablement longue et ridiculement riche en anecdotes sur son parcours, pour se convaincre du culte dont l’ex protégé de Dr Dre fait l’objet.

Derrière ce constat, une carrière riche en temps forts qui a marqué les esprits de ceux qui l’ont croisée, que ce soit dans un casque audio, une fosse de stade ou un fauteuil de cinéma. Nombreux sont les rappeurs actuels à citer Eminem parmi leurs sources principales d’inspiration, à l’image de Tyler, The Creator, pour n’en citer qu’un. Et si les dernières apparitions d’Eminem ont souvent laissé pantois jusqu’aux plus convaincus de ses fans, les récentes sorties de route sont rapidement pardonnées devant ce que le Slim Shady a apporté au rap américain. L’occasion était trop belle de revenir sur son parcours en cinq points indiscutables qui écrivent encore aujourd’hui la légende… jusqu’au prochain épisode ?

Il ne craint pas les blagues sur les mamans

Si tu avais été rappeur aux Etats-Unis à l’orée du XXIème siècle, il te serait peut-être venu à l’idée de tendre un clash à Eminem pour t’attirer un peu de sa lumière. Quitte à te brûler en jouant avec le feu, comme l’ont fait Cage ou Insane Clown Posse qui ont appris à leurs dépends que venant de la scène battle, Em a de grandes chances de te bouffer tout cru avant même que l’instru n’ait commencé. Mais surtout, parce qu’il avait déjà envoyé des phases cent fois pires que tout ce que tu aurais pu dire de sale sur sa maman. Balancer des extraits de lyrics hors de leur contexte n’aurait que peu de sens. On ne s’abaissera donc pas à faire ce qu’Eminem a déjà bien trop subi lors de sa carrière. Notons seulement que le morceau le plus célèbre d’Eminem sur sa maman – et son ex-femme – s’intitule « Kill You ». La violence des propos sur sa mère n’aura eu d’égal que son acharnement verbal sur la mère de sa fille –  qu’il a rencontré à l’âge où tu passais ton bac de français. Même s’il fera amende honorable par la suite et si ces postures étaient partie prenante de son personnage, la violence des propos lui aura valu des critiques sévères de la part de l’establishment. En s’attaquant ainsi à sa génitrice, le Slim Shady prouvait qu’il ne se fixait aucune limite. Comme quoi, un conflit oedipien mal réglé peut mener à tout.

Il a défoncé le jeu du biopic musical avant même que ça soit la mode

Depuis le succès du biopic sur N.W.A. l’an dernier, il ne se passe pas une semaine ou presque sans que l’on nous annonce un nouveau film tiré de l’Histoire du rap. Mais avec 8 Mile il y a 14 ans, Eminem offrait déjà à son public un regard unique sur sa personnalité. Il s’est révélé en personnage dramatique et a documenté d’une main de maître son démarrage dans le business. Outre quelques scènes de battle mémorables, le film se positionne aussi en charnière dans la carrière d’Em. Situé entre The Eminem Show et Encore, il intervient juste avant les premières rumeurs de retraite, et l’album à partir duquel certains ont commencé à dire que Marshall avait perdu de son juice. Eminem aura du mal à être à la hauteur de ses trois précédents albums suite au film. A-t-il porté le coup fatal à son alter égo Slim Shady en exorcisant ses démons à travers le film, ou est-ce la croissance de sa fille qui lui a fait prendre du recul ? Pouvait-il vraiment rester éternellement ce post-ado qui débitait dégommait des popstars au micro ? C’est en tout cas la genèse de ce personnage qu’il nous offrait de manière romancée dans 8 Mile. Et au passage, il s’offrit aussi le motivant « Lose Yourself », un single sérieux dans sa thématique qui restera le plus gros succès solo de sa carrière – ses douze semaines au sommet du Billboard en attestent.

« The Marshall Mathers LP » est la définition d’un classique

Il fut un temps ou roter sur un interlude aurait suffi à Eminem pour sortir un classique. Après un déjà solide The Slim Shady LP qui l’affirme en géniale trouvaille de Dr Dre, il embraye avec un LP qui frôle la perfection. Lyrics denses, anticonformistes et mémorables, refrains rappés impeccables, prods aux petits oignons et même des skits qui tombent à pic : tous les ingrédients de la potion magique sont réunis. Ajoutons à cela des clips de grande qualité pour abreuver la machine MTV. Sans compter qu’Eminem signe sur ce disque LE morceau qui restera dans la légende : « Stan ». Une histoire bouleversante de ce fan obsessif qui perd les pédales, dont le storytelling offre un rendu quasi-cinématographique. Dire que The Marshall Mathers LP est la seule chose à retenir de la carrière du Slim Shady serait dangereusement abusif. Eminem a sorti d’autres projets diablement solides, jusqu’à l’injustement sous-estimé Relapse. Mais ce disque reste la pièce maîtresse de son parcours, la clé de voute sur laquelle repose la légende. Un opus tout bonnement indispensable.

Il commence à se sentir comme un Dieu du Rap, et il n’a pas tort

Lors de son grand retour en 2013 avec l’oubliable The Marshall Mathers LP 2, Eminem a dévoilé le single « Rap God » qui a rempli à la perfection son rôle d’objet promotionnel. Entre deux démonstrations techniques superflues – sérieusement, rapper vite pour rapper vite est aussi artificiel que de coller un autocollant Ferrari sur sa 206 – Eminem glissait les mots « I’m beginning to feel like a Rap God ». Le gros de sa carrière étant derrière lui, l’utilisation du présent était certes un peu hors de propos. Mais il faut bien reconnaître qu’Eminem a construit ce que peu d’autres ont bâti. Tout le monde connaît sa vie, son œuvre, ses frasques. Ses lyrics irrévérencieux et provoquants ont touché un jeune public bien plus large que celui du rap. Il n’était pas seulement le blanc bec qui mettait tous les autres rappeurs à l’amende : il était une idole anticonformiste à laquelle s’identifier. Le grand punk du début des années 2000. On ne saurait pas compter le nombre de vocations qu’il a créés, mais c’est sans doute déjà beaucoup trop. Il aura même fait le bonheur des vendeurs de t-shirts sur étalages de marché, qui ont trouvé là un exutoire salutaire une fois la mode des drapeaux 2pac essoufflée. Eminem est-il le premier rappeur à être devenu une telle icône de son vivant ? Sans nul doute.

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Il rappera sûrement jusqu’au déambulateur

Parce qu’au fond, il ne sait faire que ça. La carrière d’Eminem a été entrecoupée de pauses, de rumeurs de retraite et d’années d’attente pour ses fans. On l’a vu blond, on l’a vu brun, on l’a vu jeune, on l’a vu vieux, on l’a vu drogué, on l’a vu sobre… Toutes les phases par lesquelles Marshall Mathers passe le ramènent au rap. Il n’y a qu’à le voir expliquer sans fard son amour pour cette musique dans le documentaire  Art of Rap pour comprendre la sincérité de sa passion.Véritable addiction ou job alimentaire, il faut pourtant bien avouer que les dernières prestations d’Eminem font souvent peine à voir. Dégaine sobre et terne, regard creux et traits d’écritures forcés : Eminem rappe comme s’il ne prenait plus aucun plaisir à le faire, mais ne pouvait pas s’empêcher de continuer. Comme un oncle qu’on aime bien, au fond, mais qui ne fait que raconter des blagues gênantes, on en vient à vouloir espacer les visites au maximum. Il aurait pu se convertir en parrain qui pousse de jeunes recrues sur le devant de la scène, mais passé 50 Cent ça n’a jamais été son fort. Yelawolf n’a trouvé le salut qu’en prenant ses distances et celui qui se souvient de Ca$his gagne un séjour tous frais payés à Detroit.  On entendra sûrement Eminem revenir de temps à autre dans les années à venir. On sera curieux, évidemment, mais on s’y jettera de moins en moins avidement. Et on retournera plutôt écouter « Guilty Conscience » en priant pour qu’il reprenne un jour des drogues.

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