Sur ‘BOOMIVERSE’, Big Boi se confronte à ses limites

jeudi 6 juillet 2017, par Sagittarius.

Selon les statistiques officielles, BOOMIVERSE est le troisième album solo de Big Boi. Techniquement parlant, on devrait aussi considérer un disque du cinquième projet d’Outkast, Speakerboxxx, en tant que tel. Mais trêve d’affaires de comptabilité. La moitié la plus active du duo mythique parvient-elle toujours à faire vivre la magie concrétisée sur son excellent premier opus Sir Lucious Left Foot ? Après un EP collaboratif Big Grams avec Phantogram peu convainquant, on étudie à la loupe le pouvoir d’attraction de ce nouvel objet circulaire créé par la moitié des Outkast.

Après deux piges chez Def Jam, Big Boi a pris la ferme décision de retourner chez sa première major, Sony. Via la filiale Epic plus précisément, et ce pour une excellente raison : suivre Antonio L.A. Reid, l’homme qui a découvert, signé et permis aux Outkast de percer brillamment avec leur classique Southernplayalisticadillacmuzik en 1994 chez LaFace Records – et de connaître leur fantastique carrière pendant plus d’une incontournable décennie. Que de chemin fait ensemble ! Reste à voir comment cela va perdurer vu que L.A. Reid a récemment démissionné de son poste de CEO à cause d’une sombre histoire d’agression sexuelle… Pendant que cette sale nouvelle faisait boum, Daddy Fat Sax sortait son nouvel album.

Traditions sans trahison

BOOMIVERSE tient son nom du studio de notre légende urbaine, la fameuse Boom Boom Room dans laquelle il a conçu Speakerboxxx. Et qui d’autre de mieux que le narrateur emblématique de la Dungeon Family, j’ai nommé Big Rube, pour introniser cet album sur l’outro de sa « Da Next Day » : « We spit universes / Birthing worlds with words, from darkness came the Big Boomiverse. » Sans transition, le sample japonais de « Kill Jill » retient notre attention jusqu’à ce que le vieil ami Killer Mike découpe tout sur son passage et que Big Boi finisse le travail, reste le refrain pour Jeezy. Celui qui a le vent en poupe avec les Run The Jewels a un impact significatif sur BOOMIVERSE en posant également sur le lancinant « Made Man », ainsi que sur le douzième morceau « Follow Deez », avec cette bonne idée d’inviter Kurupt tchatcher quelques mots sur « Made Man » et le pilote automatique Curren$y pour le hook du titre final produit par le revenant Mannie Fresh qui manie la trap à sa sauce.

Cet opus contient son lot de tracks indispensables où l’expérience parle, en passant évidemment par « In The South », avec les rimes bleues-violettes de Gucci Mane et un Pimp C ressuscité sur le refrain de cet hymne bluesy (co-produit par Cory Mo) qui fait la part belle au dialecte sudiste. Autre morceau d’intérêt général, « Order Of Operations » (avec du Scott Storch, amateurs réjouissez-vous) qui révèle les clefs du succès du General Patton. L’alchimie avec les Organized Noise est au rendez-vous (« Overthunk », la tuerie « Kill Jill ») mais il leur manque cette étincelle de magie de la grande époque. La machine funk spatiale, indissociable de la musique du binôme Outkast, semble un peu grippée, pire, elle sonne creux sur « Get Wit It » avec son passage négligeable de Snoop Dogg. Les conditions ne sont pas tout à fait remplies pour recréer cette atmosphère parfois mystique propre à la Dungeon Family. Musicalement, on nage en univers connu, BOOMIVERSE se rapprochant de Sir Lucious Left Foot : Son of Chico Dusty. En moins innovant, ou inspiré.

Une galaxie à l’expansion limitée

Pas si « big » mais avec des bangers universels, incluant le single « Mic Jack » (co-produit par DJ Khalil et DJ Dahi) avec un Adam Levine facilement supportable – une prouesse. Plus dangereux pour le dancefloor, la basse infectieuse de « Chocolate » risque de faire un malheur avec son haut potentiel chorégraphique. Puis à côté, des chansons qui n’apportent pas de réelle plus-value, telles que l’hybride pop « All Night » et sa ritournelle de piano bonne pour les fêtes d’anniversaires en famille. Et « Freakanomics » qui a vite fait d’agacer tandis que Sleepy Brown ne fait rien pour arranger les choses. Nos gars d’Atlanta nous ont habitué à bien mieux ! Reste une oeuvre sympathique qui compte quelques beaux moments forts, au milieu d’autres bien plus anedotiques. Fallait-il en espérer davantage ?

Finalement, c’est du Big Boi tout craché, toujours original qu’il est, virtuose du Flow (avec un « f » majuscule), plaçant rimes et syllabes de ses lyrics perchés à des cadences surprenantes. En parlant d’originalité, « Overthunk » évoque toutes ces milliers de pensées qui travaillent nos esprits et font crépiter les neurones comme des étoiles au point de s’isoler avec sa conscience. La vérité apparaît alors : vraiment BOOMIVERSE ne manque pas d’idées… quand d’autres tombent à plat. Pour la première fois, et c’est quasi-gênant de le dire, Big Boi semble manquer d’un partenaire particulier – qui a dit Andre -, ce qui peut justifier la présence par trois fois de son vieil ami Killer Mike. D’ailleurs on parle d’un projet commun entre les deux bonhommes depuis un bon moment. Plus de dix ans après le dernier album des Outkast – le film Idlewild et sa soundtrack qui n’a pas convaincu tout le monde – Big Boi semble avoir atteint les limites de sa galaxie.

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