Danny Brown fait flipper le rap US avec ‘Atrocity Exhibition’

mardi 18 octobre 2016, par Sagittarius.
Trois ans. À contre-courant de la frénésie de ses pairs, Danny Brown a pris son temps avant d’offrir un successeur à son opus Old sorti fin 2013. À l’écoute de cet Atrocity Exhibition, on comprend pourtant que rien ne s’est arrêté pendant ces trois années et que son esprit a vagabondé, aussi bien en dedans qu’en dehors de ses limites. Chronique du disque très abouti d’un extravagant comme on n’en fait plus.

On a toujours eu une affection particulière pour les rappeurs barjos, ces psychopathes du micro, doux dingues ou fous furieux, personnages incontrôlables dès lors qu’ils s’échappent de leur camisole, capables de susciter malaise et fascination. Un des premiers, proche de chez nous, que les plus anciens ont pu connaître était Benny B. Et oui. De l’autre côté de l’Atlantique, on pourrait citer Ol’ Dirty Bastard (paix à son âme), Eminem, Cage ou bien même Lil Jon ; qui ne les a pas écoutés franchir les limites avec un certain plaisir ? C’est d’ailleurs en partie la situation dénoncée par Vince Staples dans son clip pour « Senorita » : celle d’un rap-spectacle écouté bien au chaud et à l’abri, nourri par la souffrance et le mal-être souvent non feint de ses interprètes. Le genre de personnages fascinants campés par des acteurs incontournables comme Danny Brown. Qui joue à fond de ce caractère, il faut l’admettre. « They don’t do it like this no more. »

« La foire aux atrocités »

Que l’attente fut longue avant d’entendre le successeur de Old. Cet opus nous avait permis de diagnostiquer trois ans plus tôt à quel point Danny pouvait paraître bipolaire et tordu, que ce soit dans ses textes ou ses choix d’instrumentaux, allant jusqu’à diviser son album en deux parties. Le rappeur de Detroit n’a jamais eu peur des excès, tant qu’ils lui permettent de rester en vie pour rapper des trucs de ouf. Cette fois avec Atrocity Exhibition, qui sort chez Warp et non plus Fool’s Gold, Brown pousse le bouchon un peu plus loin. Connaissant les tendances dépressives du bonhomme, le voir jouer avec sa santé mentale et ses addictions tel un funambule maladroit mais chanceux nous fait retenir notre souffle, particulièrement quand il commence à partir en vrille. Ou plutôt dans un toboggan. Celui de « Downward Spiral », sur lequel on glisse lentement mais sûrement dans les tréfonds de sa folie qu’il expose au son d’un sample mystérieux.

Dans cette version contemporaine du terrier d’Alice, on tombe dans un obscur monde parallèle dans lequel les ghettos mal famés de Motor City sont un vaste asile psy transformé en fête foraine de l’instabilité mentale. Avec pilules, poudres et acides en libre service et stripclubs glauques à volonté. Danny Brown condense tout ce que Detroit, ville au riche passé musical, a de plus fascinant : cette décrépitude un peu glauque qui laisse place à un élan créatif en roue libre. Sa voix de clown maléfique se marie parfaitement avec la samba infernale de « Dance in the Water » et la funk démoniaque de « Ain’t It Funny« . Quand il retrouve une voix plus posée sur « From The Ground » – avec un refrain un brin pop de Kelela qui apporte un peu de lumière – et « Tell Me What I Don’t Know », on a l’impression qu’il change de personnalité d’une seconde à l’autre.

Rockstar à plein temps

Dans ce train fantôme en vagabondage dans son esprit l’accompagne à la prod un étrange gus, un anglais répondant au nom de Paul White. Collaborateur de longue date de Brown, on a également pu l’apercevoir sur des projets Stones Throw ou Mello Music Group. Il est ici le Dr Frankenstein, jouant à fusionner et manipuler des samples tout à fait originaux, minimalistes et déments. Par exemple pour le single « When It Rain » dont l’ambiance ressemble à la B.O. d’un film d’horreur des seventies. Pas étonnant puisque Paul White y sample une instru datant de 1968 de la compositrice Delia Derbyshire, la grand-mère de l’électro…

Danny continue de faire occurrence de « chatte » et « seins » tout le temps. Mais le réduire à cela serait passer à côté de ses lyrics d’excentrique fumeur de dope, au point de qualifier son style de « Pneumonia », avec les ad-libs de SchoolBoy Q se substituant à la quinte de toux. Danny Brown est allé chercher cette fois-ci dans un univers d’ordinaire peu familier des amateurs de rap pour densifier la substance de son album : le rock et le punk. Désormais chez Warp, un des seuls labels capables de trouver un créneau commercial pour des ovnis comme Gonjasufi, le MC de Detroit a certainement bénéficié de la liberté de ton à laquelle aspire tout artiste. Il a puisé chez Joy Division le titre de son LP. Puis il s’est offert une cure de jouvence en se baignant tout entier dans une essence de contre-culture punk. « Imma die like a rockstar », disait-il déjà sur XXX. Plus que le son, c’est de nouveau l’attitude qui parle : souvent destroy, parfois hardcore, toujours là ou on ne l’attend pas. Sexe, drogues et rock’n’roll. D’ailleurs, aucune piste de l’album ne sonne comme une redite.

Une débauche au service du rap

Mais Danny Brown reste Danny Brown, le MC qui a failli signer un deal avec G Unit et sortait la déjà très correcte tape Hawaiian Snow avec Tony Yayo en 2010. Un vrai rap addict. À ce titre, il reprend quelques rimes d’Andre 3000 tirées de « B.o.B. » sur « Today » – on vous laisse retrouver lesquelles. D’autres « Black Hippies » que ScHoolboy rôdent dans cette fête foraine nocturne aux manèges grinçants : Kendrick Lamar et Ab-Soul sur le très bon « Really Doe », où le perturbé Earl Sweatshirt s’invite également à la fête. Derrière ce grabuge se cache Black Milk, qui a sorti pour l’occasion une boucle bien entêtante. Niveau fumette et héritage rap, B-Real est au refrain pour le contrôle qualité de la sainte Marie-Jeanne à destination de Detroit sur « Get Hi », ce qui fait deux voix de canard sur une instru planante comme un trip hippie. On devine que Danny Brown joue de son image déglinguée, use et abuse de son style débridé sur un créneau qu’il monopolise avec aisance. Tout cela pourrait être fortement distrayant si l’état du rappeur ne s’avèrait pas aussi inquiétant comme lorsqu’il est complètement défoncé sur « White Lines », produit par un alchimiste de renom. Dans le clip de « Pneumonia », il apparaît comme une marionnette désarticulée et enchaînée, peut-être prisonnière de ses propres contradictions. À noter aussi une autre collaboration atypique et réussie, celle avec le Sud-Africain Petite Noir sur « Rolling Stone ».

Voilà un cas à rendre curieux n’importe quel psychiatre. Atrocity Exhibition est l’album de Danny Brown qui sonde le mieux les recoins les plus sombres de son esprit sévèrement rongé par les substances acides. Son univers ‘holo-horrifique’ – dans le sens où l’on perçoit les projections de son imagination macabre – se dévoile à nous et permet de comprendre comme jamais les pensées qui l’habitent, et parfois le hantent. Cet album ne serait pas si démonstratif et (par)anormal sans l’étroite collaboration de Paul White, qui joue un rôle significatif derrière la caméra. Bon nombre d’auditeurs finiront en PLS sur un plancher grinçant, obsédés par des flashs de débauche et de souvenirs refoulés. Mais en usager averti qu’il est, Danny Brown nous administre avec Atrocity Exhibition la juste dose de cette musique qui se révèle être terriblement addictive et forte, très forte.

Danny Brown sera en concert à Paris, au Yoyo (Palais de Tokyo), le 20 novembre prochain sur invitation de Free Your Funk et MIALA.

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