Georgio, entre Epictète et coupe au gel

jeudi 1 janvier 2015, par Julie Green.

En juin 2013, quelques semaines après la sortie de son EP Soleil d’hiver avec Hologram Lo’, nous posions quelques questions à Georgio. Aujourd’hui, près de deux ans après cet entretien, le rappeur du 18e arrondissement de Paris a récolté plus de 50 000 euros sur KissKissBankBank pour la création de son premier album, Bleu Noir. Retour en arrière, aux prémisses du succès.

Un petit moment qu’on attendait de rencontrer Georgio. Peu d’interviews données, la plupart sur le web, un personnage assez énigmatique, des EPs livrés au gré de ses envies… On s’est lancé la semaine dernière. Le plus simplement du monde, autour d’un burger au McDo de République, nous avons échangé pendant une trentaine de passionnantes minutes pendant lesquelles tout y est passé : les tournées, les punchlines de Lino, la street cred et l’ascension du rap en France.

SURL : On t’a vu à l’International la semaine dernière. C’était bien. Tu as beaucoup tourné avant ?

Georgio : En ce moment, je tourne, j’ai quelques dates avec la sortie de Soleil d’Hiver du coup ça me permet d’aller un peu en province, là récemment j’étais en Belgique, mais après je fais pas énormément de concerts. Je vais en faire de plus en plus.

Ça avait l’air pas mal rodé pour une première.

Ouais ? Bah tu sais moi j’aime bien les concerts. Je suis pas perfectionniste mais j’aime bien que les choses soient bien faites. Si c’est pour avoir un backeur et faire n’importe quoi… À chaque fois on se prépare, là on avait taffé ça au maximum et comme on a fait quelques dates avant – ce mois-ci j’ai du faire quatre ou cinq concerts quand même – ça laisse le temps de se roder. C’est a peu près le même set, le même backeur, le même DJ, donc ouais.

 

« Le crew, c’est beaucoup d’entraide et ça nous sert énormément »

 

À la fin, vous avez freestylé pendant pas loin de vingt minutes avec la 75ème et l’Entourage. Ça aide d’être affilié à un crew dans le rap ? 

Alors ouais déjà c’est plus sympa. Rien que quand tu finis un concert de pouvoir finir sur un gros freestyle avec tes potes, c’est plus sympa que de finir comme ça sur un morceau et hop tu te barres. Là t’es avec tous tes potes sur scène, donc ouais, y’a plus d’énergie. Après, y’a beaucoup d’entraide entre nous. Si demain Lomepal sort un clip, je vais être le premier à le partager et vice versa. Donc comme on est tous en train de monter ensemble, même si certains sont déjà un peu plus haut, ils nous filent des coups de main aussi, c’est vrai que c’est beaucoup d’entraide et ça nous sert énormément.

Y’a un coté super TSR Crew, et même plus précisemment Hugo dans la voix, dans ce flow assez incisif et nonchalant en même temps. C’est une influence pour toi ?

Ouais mais je trouve pas que ça se ressemble autant tu vois.

Quand je t’ai découvert, ça m’a immédiatement frappé.

…après Hugo m’a vraiment influencé, sur comment il image ses phases, comment ça rime. Les prods qu’il aime, ce sont aussi les prods que j’aime. Le sample, tout ça… Je vois peut-être ce que tu veux dire mais je trouve pas qu’on ait forcément la même voix ni le même flow. Mais je vois un peu. Et de toute façon ça reste un des rappeurs que je préfère. Aujourd’hui y’a plus vraiment de rappeur qui m’influence vraiment, duquel j’ai envie de tout entendre. Quand j’ai découvert Hugo par contre, ou même Lino, c’était à une période où j’étais beaucoup plus jeune. J’étais vraiment une éponge et je prenais de partout. Donc c’est vrai qu’Hugo m’a vraiment marqué dans le rap français. En plus on vient du même quartier, donc tu sais y’a des phases, il va te parler de la Place Torcy, si t’es pas parisien ou du quartier tu peux pas vraiment savoir. Donc encore plus avec ces références, t’as envie de soutenir les gens de chez toi. Ouais, grosse influence Hugo.

Ma remarque vaut aussi pour Koma, c’est frappant quand on réécoute des morceaux comme « Du mal à s’confier », « Trop saoulé » ou « Mission ».

Est-ce que c’est pas le champ lexical dont tu parles un peu ?

Oui et non. Y’a effectivement ce truc de rap mélancolique sur certains morceaux, mais y’a autre chose. Koma, Hugo TSR, toi, y’a une filiation qui va au-delà. Tu vois « Chanson Triste », de Nakk ? Pareil.

Ouais je vois très bien.

C’est une affiliation qui s’est faite naturellement ou c’étaient des vraies influences sur lesquelles tu t’es un peu entraîné à kicker dans tes débuts ?

Koma et Nakk, j’ai grave écouté. Après, je le dis dans toutes les interviews,  j’ai clairement un trio de tête : Lino, Hugo et Nakk.

Tout seul Lino ?

J’aime bien les sons d’Ärsenik, mais c’est clairement Lino qui m’a plus influencé que Calbo. Calbo j’aime bien, mais il me surprenait pas autant que Lino. Lino, je trouve qu’il a une prestance de ouf. Sa voix, même ses images… y a une phase qui vient de me marquer récemment, il dit : « Tout pour la famille, au sens Corleone du terme. » Je trouve ça ouf. Il a des punchlines incroyables.

Tu l’as déjà rencontré ?

Non. Mais là je prépare un projet, et je sais que c’est clairement un des rappeurs que j’aimerai avoir dessus.

J’allais te demander plus tard qui tu voudrais sur l’album.

Mais en fait je sais même pas. Je voulais partir sur un premier album, mais là plus le temps passe, plus je me dis que c’est peut-être le moment de sortir un deuxième EP, histoire de montrer tout, de dire voilà, Soleil d’hiver c’était avec Lo, là c’est un autre truc tout seul histoire de montrer ce que je vaux vraiment sur ce format avant de me lancer sur l’album.

Du coup on y arrive. Idéalement, ce serait qui les prochains sur la liste des feats ?

Donc oui, j’aimerai bien inviter Lino. Après, j’ai pas envie de te donner de noms, parce que j’en ai pas encore, mais j’aimerai bien faire des featurings hors rap.

Genre électro, des voix de meufs ?

Oh non non non, ça je déteste les meufs qui chantent sur les refrains, je trouve ça horrible ! Enfin, la plupart. Mais, plus par exemple de la musique africaine. Ou par exemple un groupe de jazz, un featuring sur un morceau. J’ai envie de m’ouvrir à ça maintenant.

T’as déjà des idées ?

Ouais  mais c’est un peu trop tôt pour en parler.

Dans une précédente interview avec Vicelow, il me rappelait l’importance, surtout maintenant avec tout le bordel que crée internet, de « l’esprit hip-hop ». Toi qui est de la nouvelle génération, c’est quelque chose qui te parle toujours ?

Ouais ouais, c’est bien. Mais bon, moi j’ai grandi sans la danse, je fais mes trucs et franchement, le hip hop, tout ce qu’il y a autour, ok j’adore, le graffiti, la danse, mais au final ça me manque pas sur scène. Quand je vais voir un concert de rap, ça me manque pas s’il n’y a pas de danseurs, et ça me marque pas non plus s’il y en a. C’était un temps, ça a changé. À la limite, c’est plus un truc de mentalités. On perd un peu cet esprit hip-hop, c’est vrai. Mais le reste, j’ai pas grandi avec donc franchement, ça me manque pas non.

 

« Ma street crédibilité, j’en ai rien à foutre »

 

Comment vous voyez, surtout toi qui est proche de l’Entourage, le fait d’avoir essentiellement un public de (très) jeunes et de filles qui ne viennent pas particulièrement pour la musique ?

En vrai… C’est ouf parce que tu vois 1995, y’a plein de jeunes, c’est vrai. Sauf que les médias, ils te montrent que ça. Alors qu’au final, y’a pas du tout que des jeunes aux concerts ! Y’a plein de mecs de mon âge, et des plus vieux aussi. Et puis regarde Booba maintenant, c’est la même. C’est davantage autour de l’Entourage et de ce qui gravite, certes, mais Booba, y’a aussi plein de meufs de 13 ans à ses concerts. Pour revenir à la question, non, ça me dérange pas. Dans « Saleté de rap » je dis : « J’écris pour des adultes jusqu’à des collégiens »,  je le pense. Le but c’est que les gens se retrouvent dans ma musique, quelques soient les raisons. Ma street crédibilité, j’en ai rien à foutre. Je suis pas le plus gros des bandits, mais j’ai jamais laché mes potes et j’ai jamais fait la baltringue non plus. Ca me suffit. Kery James dit avec Ideal J : « Je veux pas être le favori des dingues ni des baltringues, que Dieu en soit témoin je veux être celui des gens biens. » C’est ça. Je pense ça, vraiment. Si tu me casses les couilles, peut-être on va se taper, peut-être je vais te baiser, peut-être toi, mais je m’en bats, ça va pas plus loin. La street cred, c’est rien. Ce qui compte dans un concert, c’est l’énergie. Que tu sois blanc, noir, arabe, que tu aies 13 ou 33 ans. Je suis vraiment pour la diversité. C’est une bonne chose qu’il y ait des filles aux concerts de rap.

Finalement, elles se mettent à écouter du rap autant que les mecs, elles finissent certainement par connaître pas mal de trucs !

Mais oui. Y’a des filles elles écoutent du rap tout le temps ! A l’époque moins, mais il faut dire que le rap se démocratise aussi vachement. Aujourd’hui, y’a peut-être, j’en sais rien, 70% des gens qui écoutent du rap. Quand tu vois Sexion d’Assaut faire des 700 000 ventes et passer sur NRJ… Le rap, c’est plus sectaire comme avant. Donc ouais, forcément, plus de gens, ça veut dire plus de filles, plus de petits.

 

« Quand je lis, chez Marc Aurèle, Epictète, je retrouve un nouveau regard. Ce sont des nouvelles façons de voir la vie, le quotidien, des principes même »

 

Tu lis beaucoup ?

Je lis pas mal.

Ca s’entend.

Ah ouais ?

Dans le traitement des figures, dans la fluidité, y’a des mécanismes d’écriture qui laissent imaginer que tu lis pas mal.

J’aime beaucoup la littérature. Tu sais, j’ai eu pas mal de périodes assez sombres dans ma vie. Et puis je suis un peu du genre, si je prends trop le métro, après je veux plus sortir pendant une semaine, les gens et tout ça va me rendre fou, et donc je vais plus vivre la nuit, avec le rap je suis un peu décalé… Du coup, j’aime bien me poser de temps en temps et lire. Quand je lis, chez Marc Aurèle, Epictète, je retrouve un nouveau regard. Ce sont des nouvelles façons de voir la vie, le quotidien, des principes même. Je m’évade vite en plus, un peu comme quand j’écris. Après, Soleil d’hiver, c’est mes 17/20ans, et c’est vrai que c’est assez sombre, mais c’est délicat l’écriture. C’est moi totalement, c’est 100% vrai, mais en même temps, c’est pas que ça. Y’a d’autres états d’humeur à coté. Quand j’écris, je prend ma rage, et je veux en faire quelque chose de positif. Alors je mets des instrus en boucle et je me lâche, j’écris ce que j’ai envie d’écrire.

Surtout que c’est plus facile d’écrire sur ce qui ne va pas.

Ouais. C’est plus facile mais c’est pas si évident. J’ai écris un morceau tu vois, il était tellement personnel que j’ai jamais pu le sortir. Trop personnel. Se livrer, c’est gênant. C’est pas forcément en dire trop, mais certains mots sont forts.

C’est marrant, j’ai relu des interview de l’époque de Mon prisme où on a l’impression que tu n’as pas encore Soleil d’hiver en tête du tout.

Ouais, parce que c’est souvent au feeling. Ces deux projets sont pas du tout calculés. « Mon Prisme », j’avais reçu une instru d’un pote, et avec la 75ème on avait monté un studio dans lequel on pouvait enregistrer gratuitement. Je l’ai enregistré, et je l’ai fait mixé à mon pote. Il l’a mixé dans la foulée, et une semaine après je l’avais, sur sa prod. Là, je lui ai demandé s’il était chaud pour faire tout le projet, enfin j’allais pouvoir avoir un truc bien, j’avais plein de textes, et tac, on a fait ça au feeling. Après ça, je me suis aperçu que j’avais encore des trucs à dire, j’étais content, j’ai voulu faire un nouveau projet. Et donc je demande des prods à Lo, que je kiffais de ouf, et il m’a proposé au final de faire le projet sur 5 titres. Là encore j’ai dit oui, mais c’était pas du tout prévu !

 

« Quand tu es dans l’instinct, t’as pas de contraintes »

 

C’est de plus en plus souvent comme ça non ?

Oui. Je trouve que c’est important le feeling. Il faut calculer un minimum ses trucs bien sur, si tu veux que ça ait un peu d’impact… mais quand tu calcules trop, tu perds de l’âme dans tes projets. En plus quand tu es dans l’instinct, t’as pas de contraintes. Moi j’arrive beaucoup plus à écrire quand je sais que j’ai du temps. Si on me dit « hey gros, on a du retard faut qu’on boucle le morceau en deux semaines », là je vais être sous pression, et j’aime pas. Je saurai pas vraiment quoi écrire. Alors que quand j’ai le temps… j’ai le temps d’être moi-même, de raconter ce que je veux, ce que je vois. C’est là que je fais les meilleurs morceaux. Et puis c’est instinctif l’écriture. En plus moi quand j’écris, c’est vraiment d’un bloc. Je structure pas du tout, couplet/refrain machin. Je gratte, je gratte, et après je fais un peu de puzzle.

Merci. Et avant de se quitter, tes projets pour la suite ?

Là on va tourner un clip au Maroc. Sinon, faire des morceaux. Premier album, second EP, on verra. Je pense que l’EP est un meilleur format, mais je vais prendre mon temps. J’ai besoin de vivre aussi ! J’ai besoin d’avoir des inspirations, et je sais pas, de voir ce mec tomber du trottoir, qui a loupé la marche, si je veux pouvoir écrire sur son étourdissement. J’ai besoin de voir ça pour pas tourner en rond.

 

Interview menée par Julie Déléant, en partenariat avec Le Vrai Rap Français, as usual.

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