Nusky et Vaati, la nostalgie du futur

lundi 20 février 2017, par Etienne Anthem. .

On demande souvent aux artistes d’être les témoins de leur temps. Nusky et Vaati ont choisi de répondre à cette injonction non pas en témoignant pour leur époque, mais en étant pleinement constitués d’elle. Au lendemain de la sortie de leur nouveau projet Bluh, on vous fait part de notre rencontre avec deux artistes pour qui, dans un monde où tout va trop vite, le temps reste un capital inéluctable.

Dans La vie est un miracle, magnifique film d’Emir Kusturica dont l’histoire se déroule au milieu de la guerre de Yougoslavie, Milos, passionné de foot qui rêve de passer professionnel, s’écharpe avec son père. Pour ce dernier, c’est le sentiment qui doit primer sur le reste, alors que pour Milos, c’est la vitesse. Alors que Milos est recruté par le Partizan Belgrade, ils finissent par convenir que les deux notions sont également importantes. C’est un peu le sentiment qu’on peut avoir après l’écoute de Bluh, le nouvel album de Nusky et Vaati. Après Lecce, leur premier projet commun en 2014, ils ont réitéré leur collaboration, en sortant le très bon Swuh en 2015. Un terrain de jeu commun où les habillages sonores de Vaati, ses beats enveloppants et parfois planants, emmènent le rap de Nusky, davantage conventionnel au sein de La Race Canine ou en solo, sur des chemins de traverse imprévisibles.

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On rencontre Nusky et Vaati quelques mois avant la sortie de leur nouvel opus Bluh. Ils s’apprêtent à donner un concert à l’EMB de Sannois (Val d’Oise), et en entendant des nouveaux titres de Bluh pendant les balances, il se confirme que la palette des deux amis est loin d’être arrêtée. On se retrouve en coulisses pour trois quarts d’heure de franche discussion autour de leur univers. Mais inutile de tenter d’identifier chez eux une école quelconque de style, face à un mélange de pop acidulée, de rap foutraque avec des synthés funky, et de solos de guitare rock. Enfants de leur époque, la musique de ces deux là doit autant aux Beatles qu’à Young Thug, à Led Zepelin qu’à la Sexion d’Assaut. Comme un nuage de mots-clés qui efface le précédent, le son de Nusky et Vaati a quelque chose d’évanescent. Faisant figure de cap en étant leur premier projet commercialisé, Bluh les voit amplifier leur identité, donnant des sentiments et du souffle à leur musique d’ordinateur.

Et si Nusky et Vaati n’avaient pas d’âge, ou plutôt s’ils avaient l’âge d’un cerveau né sur Internet ? Le premier morceau clippé de Bluh, « Aux souvenirs oubliés », dit quelque chose de notre époque, où tout va si vite pour nos pauvres cerveaux compressés, entre alternative facts, hyperliens antidatés et articles sponsorisés. Visiblement, les deux compères n’ont pas l’intention de se laisser voler leur imaginaire par une poignée de geeks perdus dans la Silicon valley. Le morceau « Katsumi », sur le EP Swuh, est un bel exemple de ce jeu de poupées russes. Alors que son titre pouvait laisser deviner un énième fantasme de rappeur, ou juste l’affirmation d’une libido conquérante, le nom de la pornstar n’est qu’une invitation à s’enfoncer dans les souvenirs brumeux de l’enfance, escapade aux sonorités tragiques.

Suivant leur méthode habituelle de travail, Nusky a écrit cette chanson avec un pote, à l’écoute de la mélodie composée par Vaati. Il nous raconte la genèse du track :  « On a eu l’idée d’un son sur l’enfance, sur tous ces trucs dont on se souvient à peine, les trucs qui étaient là dans notre imaginaire, et on a pensé à Katsumi. Quand on était petit, tout le monde avait son nom en tête, mais personne ne l’avait vue. » Vaati renchérit : « C’était un peu une déesse bizarre. » Katsumi devient alors une allégorie, celle du temps qui file. Et Nusky de filer la métaphore : « Je parle des Total 90 aussi, les chaussures Nike qu’on avait tous en CE2. » Aux accents tragiques et vaporeux, la mélodie finit par s’accrocher, collante comme un vieux souvenir un peu flou.

Enfants de la balle

L’artiste dont Nusky a le plus saigné les disques ? Bob Dylan, entre quelques baffes rapologiques. Comme celle reçue de la part d’un album de rap pur jus, La fierté des notres, de Rohff. C’était en 2004, et le Montrougien avait à peine 10 ans. Pour ensuite aller vers le rock : « Après, j’ai compris que c’était pas vraiment ça que j’aimais dans la musique. J’ai découvert le rock, et là je suis devenu vraiment fan de musique. J’ai vraiment épluché les albums, et des choses depuis les années 50, 60, jusqu’aux années 80. »

Son pote Kevlar l’a initié : « Kevlar a rappé devant moi, et ça m’a donné envie de rapper, le déclic. J’ai dit ok, je vais pouvoir m’exprimer, je crois. » Il a ensuite biberonné des groupes comme 1995 ou la Sexion d’Assaut, pour commencer le rap, en toute facilité. Comédien né, Nusky a quelque chose d’un enfant de la balle. D’une mère peintre et d’un père technicien dans le cinéma, il a eu l’occasion de réaliser des castings, à un âge où beaucoup se contentent de jouer à la console. Depuis quelques années, Nusky a un rôle dans une série de TF1, Mes chers voisins. Gamin, son père l’a amené à un casting, et depuis ses douze ans, il fait l’acteur et n’exclue pas une double carrière. Ça lui garantit une indépendance financière certaine, et lui permet d’envisager la musique de manière plus libre, lui qui a lâché l’école à 17 ans. Il écoute autant les Beatles, Bob Dylan, que le rap français et US, qu’il « consomme », avec des références comme Lil Durk, ou Young Thug, une inspiration perceptible sur son track « Deux minutes ».

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Vaati a, quant à lui, quelque chose de plus méthodique dans son approche de la musique, lui qui tire son nom du fameux jeu qu’est Zelda. Son graal se trouve dans la mélodie et les harmonies. « Mon premier amour musical c’était le blues, que j’ai découvert en sixième. En primaire je ne m’intéressais pas trop à la musique, même si je faisais un peu de guitare sans trop y réfléchir. J’écoutais du blues des années 30-40, après je suis vite remonté au rock, au rock des sixties, un peu comme Raph’ (Nusky), les Stones, Led Zeppelin. Il y n’avait qu’un mec qui avait fait de la musique après les années 80 et que j’écoutais, c’était Jack White. Pour moi les autres c’était de la merde. J’étais le seul dans mon délire, et tous mes potes écoutaient les Bloody Beetroots. » Il a mordu au rap ensuite, à l’écoute notamment de l’intemporel Rolling Papers de Wiz Khalifa.

Le rap comme terrain de jeu

Intemporel, comme le son des productions de Vaati qui alternent entre caractère très synthétique et harmonies plus classiques. Un gigantesque terrain de jeu, qui leur permet de se jouer des modes ou des dogmes. Un peu comme dans la vision qu’ils ont de leur vie. Vaati, qui donne l’impression d’être un pragmatique rationnel, envie les personnes qui croient en Dieu, comme Nusky. Les deux jeunes hommes s’estiment chanceux : issus de familles de classe moyenne, ils ont pu embrasser leur passion sans plus d’obstacles que ça. En plein développement de leur style, il ne cherchent pas nécessairement de références à d’autres rappeurs. Nusky explique  : « On n’a aucun complexe par rapport aux codes du rap. Parce qu’on estime qu’on est sincère, et qu’on fait la musique qui nous plaît vraiment, donc y a pas besoin d’être validé, crédible. »

Sans excès, on peut dire que leur ascendance d’internet s’entend dans leurs goûts comme dans leur son, dans une manière de brasser un éventail déjà très large. « On n’est pas obligé de mettre une étiquette dessus, on pourrait mettre des mots clés : rock, rap, soul. Musique d’ordinateur aussi, parce que j’adore le fait que ce soit synthétique. »

Des enfants du rap ? Oui, mais autant du rock et de l’électro, complètement libérés des cloisonnements catégoriels. Dans Swuh, les rimes de Nusky évoquaient plusieurs fois la notion du bon moment, de l’empressement à vouloir tout et tout de suite.« Je crois que c’est très moderne ce questionnement, explique Nusky. On est dans une société qui va hyper vite, où tout est en surconsommation tout le temps. Je dis pas ça pour dénoncer quoi que ce soit, c’est un constat. On n’a jamais le temps de tout faire, on aimerait tout faire, et si tu fais rien t’es une merde. Et si tu fais beaucoup tu fais trop. Et je crois que le rapport au temps, c’est un truc hyper créatif en fait. On raconte tellement mieux ce qu’on a compris et fini. »

Bluh, leur nouveau projet, embrasse pleinement la pop, et franchit allègrement les frontières du rap, Nusky passant souvent du rap au chant au cours du même morceau. Capable de fredonner à l’élue de son cœur qu’elle aime qu’il la « prenne comme une chienne » (« Mon ange ») avec le genre de tendresse que Doc Gynéco donnait à sa tasspé dans « Ma salope à moi », Nusky ne suit qu’un seul fil thématique au long de ses différents morceaux : l’amour, au sens large. Dans « Aux souvenirs oubliés », Nusky chante encore le temps qui passe et ses sentiments, s’exclamant qu’au final, « un peu d’amour, au fond c’est tout ce qu’il [lui] fallait ». Une histoire de rythme et de sentiment on vous dit, pour mieux affirmer une vraie liberté artistique, et un chemin musical loin d’être tracé d’avance.

La release party de Bluh est prévue le 1er mars au Badaboum (Paris).

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