Odd Future : le désamour, pour toujours

mardi 15 décembre 2015, par Jihane Mriouah.

Et dire que c’était le crew du premier amour. Une bande de jeunes Californiens qui débordent de créativité, réunis autour d’un concept qui tient en sept lettres : OFWGKTA (Odd Future Wolf Gang Kill Them All). Leur liberté a séduit, leurs propos ont offensé, leur ton a interpellé, leurs codes vestimentaires se sont propagés. Comme tous les phénomènes, Odd Future n’était pas destiné à durer, mais ils ont un peu de mal à se l’avouer. Et on le sait tous, les histoires d’amour finissent mal, en général.

On a tous des potes qui restent en couple, même quand le désir et l’envie n’y sont plus : par habitude ou parce que le monde est un endroit hostile quand on est seul. Après tout, des millions d’années d’évolution ont inscrit le réflexe grégaire dans nos néocortex d’Homo Sapiens, les humains sont des petites choses fragiles qui se sentent plus forts en groupe.

Est-ce donc par pur esprit Darwinien de préservation que le collectif Odd Future évite d’annoncer officiellement une rupture qui semble pourtant consommée ? Ou est-ce, au contraire, le déni qui entoure la fin d’Odd Future en temps que crew, qui leur permet de se sentir prêts à continuer ? Chronique d’une mort pas annoncée, mais qu’on a tous vu venir.

Odd Future, c’est fini ?

La question officielle de la fin du collectif OFWGKTA est apparue cet été après une sorte d’escalade dans les medias spécialisés suivant un article de Complex qui a non seulement repris une série de tweets de Tyler, The Creator, mais aussi un peu enrobé avec sa propre interprétation d’une sorte de nostalgie que le rappeur exprimait. Et si on peut s’agacer d’un « journalisme » qui consiste à commenter et à faire l’exégèse du moindre jet en 140 caractères, la question de la rupture se pose. Tyler, avec le tweet suivant – il est vrai, ouvert à discussion – révélait donc quelque chose dont tout le monde avait déjà conscience.

On pourrait débattre de la date de fin du crew. Quelque part entre le moment de la mise en orbite de Frank Ocean sur la trajectoire de Channel Orange, le moment où l’image de Tyler, The Creator, leader hyper prolifique (qui pourrait sans nul doute etre identifie avec un syndrome d’hyperactivité et troubles de l’attention), s’est imposée dans les rétines à coup de fringues fluo et de photo kitsch en faisant quelque peu oublier le reste de l’équipe. Ou encore le moment où le réservé Earl Sweatshirt a éclos en délivrant le brillant I Don’t Like Shit, I Don’t Go Outside. Pour certains, la dernière apparition marquante du collectif était leur passage au South By South West 2011.

2011 ? 2012 ? 2013 ? En y regardant bien, ça fait un moment qu’on n’a pas vu tout la gang de Odd Future faire bloc. Les mecs se démarquent très nettement en solo, en créant chacun à sa manière. Mais il faut bien dire qu’ils ne le font pas tous avec un succès similaire. Quand l’amour bat de l’aile, mais que les choses ne sont pas claires, c’est la peur de l’abandon qui s’exprime.

Je t’aime, Moi non plus

Ceci expliquerait peut-être la dernière crise de jalousie d’Hodgy Beats. Alors qu’une partie du collectif (Domo Genesis, Hodgy Beats, Left Brain et Mike G + le satellite Vince Staples) était présente à la dernière édition du festival « Camp Flog Gnaw » créé et organisé par Tyler à Los Angeles, Hodgy Beats se lâche dans une série de tweet lorsque le leader du crew monte sur scène, questionnant la position actuelle de son pote, non sans un relent de jalousie.

On pourrait de nouveau se demander si certains médias n’ont pas tendance à s’enflammer à la suite de réflexions que les artistes partagent sur les réseaux sociaux. Surtout que quelques heures plus tard, Hodgy Beats et Tyler, The Creator apparaissent à nouveau copains comme cochons dans une vidéo sur Instagram. Le collectif n’en finit donc pas d’envoyer des messages contradictoires.

En juin, Tyler, The Creator semblait passablement agacé à la suite de l’interpellation d’un fan qui lui reprochait d’avoir « changé » et s’était justifié. Récemment, suite au tweet qui a fait débat et après avoir tout de même ajouté que les medias l’avaient clairement porté au delà de sa signification, il a expliqué avoir exprimé sa nostalgie à la vue d’anciennes photos. Alors que celui/celle qui n’a jamais recouché avec son ex jette la première pierre, mais en poursuivant avec ces mots « je souhaite bonne chance à chacun, et j’espère qu’ils saisissent les opportunités qui leur sont présentées et continuent avec succès », ça sonne plus comme la justification que tu donnes à tes potes quand tu leur dis que t’as rompu, qu’à une explication de rupture donnée à ton/ta partenaire.

Annoncer aux gosses que papa et maman divorcent

Si OFWGKTA c’est fini, il y en a toujours pour qui c’est plus dur de passer à la suite. Pour certains encore plus que d’autres. Chez Hodgy Beats, en l’occurrence, on sent clairement que le côté « business » qui entoure Tyler n’est pas quelque chose qui l’enchante au quotidien. Mais pourquoi maintenant ?

Tyler, the Creator a son délire depuis le début. Le crew a toujours été un outil pour lui. L’image qu’il construit avec le collectif dépasse les performances de ses artistes. Il est hyperactif : un festival qu’il organise, sa marque Golf Wang, une série animée qu’il diffuse en se servant de sa propre application tout en rappelant à tout le monde qu’il est capable de rapper. Tyler The Creator est un leader, un mec avec une vision. Est-ce que c’est ça qui agace les copains qui se sentent un peu à la traîne ? En particulier avec l’image du sale gosse, de l’anti-conformiste que Tyler The Creator pousse en avant ? Une lecture possible des commentaires émanant d’Hodgy Beats serait qu’une partie de son public aime peut-être Tyler pour son aspect dérogatoire plus que pour ses capacités artistiques. Ce qui est certain, c’est que la critique ne vient pas du membre du collectif qui réussit le mieux.

Loin de ces querelles de cour de récré et des mélodrames sur la toile, d’autres membres du crew ont choisi le développement artistique plutôt que l’esprit tribal. Earl Sweatshirt a sorti un des albums qui ont marqué l’année. Casey Veggies – dont on se demande si le nom ne décrit pas la personnalité – essaie de sortir son épingle du jeu en construisant un public. The Internet surfe sur leur succès pop/RnB. Frank Ocean est loin de toutes ces histoires.

Tyler, The Creator n’a pas fini de provoquer : qu’il le fasse par goût du jeu ou parce qu’il veut faire exister sa perspective sur le monde, il n’a surement pas fini d’emmerder non plus et d’attiser des jalousies. Hodgy Beat va devoir se calmer sur la molly, en venir à la raison et réaliser, comme nous tous, qu’Odd Future, c’est fini. Une rupture c’est toujours beaucoup d’émotions. On n’a donc plus qu’à espérer que Tyler cesse de brouiller les pistes et explique aux gosses que papa et maman divorcent.

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