Asher Roth : « En Europe, on te soutient si on aime ta musique »

vendredi 8 avril 2016, par Cathy Hamad. .

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À l’occasion de son passage à Paris le 1er avril, Asher Roth a répondu à nos questions. La trentaine tout juste passée et une dizaine d’années de carrière derrière lui, le rappeur à la chevelure d’or a eu plusieurs vies, tant un monde sépare le corny « I Love College » de l’excellent « Tangerine Girl » ou du plus récent « Rawther ». L’ensemble forme un chemin complexe, voire carrément sinueux, qui a amené Asher Roth des portes du superstardom à la vie bien plus incertaine de rappeur indépendant. Interview.

Asher Roth est un oiseau. Après que les plus importantes majors américaines lui ont façonné un nid somme toute assez douillet, le rappeur de Philadelphie a pris son envol en 2013 et ne jure plus que par son indépendance sacrée. Ash’ se recentre sur lui même, se redécouvre et ne va désormais que là où son cœur et ses ailes veulent bien l’emmener. Celui qui livre volontiers sa vie dans ses vidéos intitulées Rap Life a envie de se montrer sans filtre. Cette mini-série dont le cameraman nous a livré la visée de people watching – activité de sociologie amateur où on s’observe soi et les autres pour apprendre, s’inspirer et stimuler sa créativité – ne va certainement pas se cantonner aux huit épisodes initialement prévus, tant la tournée européenne du rappeur va donner matière au projet.

Avec l’authenticité pour mantra, Asher Roth vient donc traîner en Europe et profite de cette occasion pour se représenter à son public. Baudelaire le qualifierait bien de parfait flâneur, tant « cet observateur passionné » court, vole, grandit et s’inspire. On lui mettrait presque des petites fleurs de chanvre dans les cheveux. Mais il ne faut pas s’y méprendre : son rap n’est pas tout guilleret. On est loin de l’arnaque : à chaque nouvelle mixtape balancée, on (re)découvre un son propre, un flow rapide et un grain de folie. Ash’ vole maintenant de ses propres ailes et rayonne de sa forte aura positive, immanquable. Prouvant bien que sa douceur n’empêche pas un rap lourd, le rappeur est apaisant et apaisé. Il a la tête sur les épaules et les idées claires. Rencontre avec un mec qui a trouvé la paix intérieure.

Asher Roth interview 2016 3

Quand on écoute RetroHash ou même toutes tes mixtapes, à chaque fois c’est un son complètement inattendu. Tu sais où tu vas ?

Oui ! Chaque projet est comme une capsule temporelle, un peu comme si on témoignait de ce qui se passe là maintenant, tout de suite. J’ai toujours voulu faire de la musique qui reflète où j’en suis à ce moment là. C’est drôle, parce que quand tu travailles avec les majors, les sons mettent énormément de temps à sortir. Parfois tu enregistres quelque chose et ça ne sort que deux ans après. C’est un peu abusé, parce que c’est de la musique qui ne te ressemble plus. Tu n’es plus la même personne deux ans après ! Tu changes beaucoup. Donc j’aime le fait d’en être arrivé au point où la musique que je sors me représente réellement. C’est le fait d’avoir quitté ma maison de disque qui me l’a permis.

Depuis que tu as décidé de faire de la musique sans penser à l’aspect business, n’est-ce pas un challenge à chaque fois de toucher ton public ?

Si, absolument. Mais je pense que c’est quelque chose que l’on doit embrasser avec plaisir. Tu peux accepter le fait que ce soit difficile, et que ça va être difficile, mais en définitif tu en profites d’avantage. Pour ma part, j’ai commencé tout de suite avec les grands bus de tournées, les gros budgets, l’argent. J’ai tout de suite eu toutes les ressources nécessaires. Et c’était tellement gros que c’en est devenu effrayant. Presque comme un jeu. Je me demandais comment passer outre ça, comment faire cette fois-ci… J’aime vraiment mieux comment c’est maintenant. C’est plus vrai ! Par exemple, maintenant j’ai de vraies conversations avec des gens. Je n’ai jamais aimé juste parlé de moi ou juste me promouvoir. Là au moins on parle d’idées, de concepts.

On peut dire que la liberté t’inspire.

Absolument, c’est ça.

Tes amis proches ou même les artistes avec qui tu continues parfois à travailler sont encore très ancrés dans ce milieu. Où est-ce que tu te situes dans tout ça ?

C’est difficile. J’ai envie de garder les pieds sur terres, je n’ai pas envie d’être déconnecté. Mais aussi de temps à autres, c’est cool de s’envoler et faire des trucs un peu extraordinaires. Tu vois Justin Bieber et les autres, ils font partie de notre monde mais c’est comme s’ils vivaient sur une autre planète tellement folle… C’est cool d’avoir pu mettre un pied dans ce milieu, mais je n’ai pas envie d’y vivre. C’était super d’y traîner et de pouvoir dire « ah j’y étais », mais c’est mieux de rester sur terre pour de vrai.

Asher Roth interview 2016 1

Quand tu vois ce que sont devenus les artistes qui sont ou qui étaient signés sur ton label [Schoolboy Records de Scooter Braun, qui gère les carrières de Bieber, Psy et autre Cody Simpson] tu te dis soulagé d’avoir quitté tout ça ?

Oui, carrément. Enfin c’est vraiment personnel, chacun ses goûts ! Mais quand je vois où je suis maintenant, je me dis que je n’ai jamais été aussi heureux.

Tu as eu un énorme succès quand l’on pouvait facilement te coller une étiquette et te mettre dans une case. En indépendant, tu es moins sur le devant de la scène. Comment tu te sens vis à vis de ça? 

Je dois dire que ça me va. Bien sûr, je peux pas nier : je veux vraiment toucher le plus de gens possible, j’ai envie d’atteindre le grand public et j’ai envie de le faire pour gagner ma vie ! Je n’ai pas du tout envie de faire du rap et de travailler dans un café à côté ! Mais je comprends en fait le système, ça a du sens. Quand quelque chose tourne rond et que c’est net, on peut le brancher dans un système où 1 + 1 = 2. Je le comprends mais je ne veux pas que les gens en attendant ma musique se disent : « Je sais exactement ce que je vais entendre. » C’est plus amusant pour moi de titiller ces attentes. Les chiffres ne sont peut être pas là mais on n’a pas non plus des millions de dollars à dépenser dans la pub. Le compromis que j’ai fait avec la popularité m’a permis de vivre la vie avec laquelle je suis plus heureux.

Tu as dit que le rap était cool du moment qu’il avait quelque chose à dire. Qu’est ce que tu voudrais que l’on retienne de ce que tu nous dis ?

Sur la route tout à l’heure, on a discuté d’amour, de relations en général, d’amitié. On a discuté d’idées, de rêves et à quel point les rêves sont cools. Ce sont les trucs dont j’adore parler que ce soit dans le rap ou non. Tu vois, quand tu es dans le bus en tournée et qu’il y a des filles qui te voient avec un micro et de la lumière, forcément c’est facile. Et beaucoup de rappeurs peuvent profiter de ça… Ça vient peut-être du fait que j’ai grandi avec des sœurs mais moi, ça ne m’intéresse pas. Et du coup je ne me sens pas comme le stéréotype de la célébrité stéréotype. Je ne suis pas dehors en mode : « Fuck bitches get money ! » Pour moi, ça a été une adaptation vis à vis du public hip-hop. Dans le monde du rap, les gens ont facilement des attentes sur qui tu es et comment tu dois te comporter. Moi je suis arrivé là dedans un peu plus réservé, un peu plus calme et pourtant, je fais du rap assez lourd ! Je pense que la chose la plus importante, c’est de faire vraiment de la bonne musique dirigée par le cœur, et le reste suivra tout seul.

Tu es très discret même sur les réseaux sociaux.

Oui. Après je suis lion, donc j’ai quand même un côté de moi qui a envie de parler plus fort et d’être tapageur. Mais en même temps, quand les gens passent leur temps à se promouvoir, à parler constamment d’eux même, à sans cesse parler du fait qu’ils sont supers, ils sont sur les réseaux sociaux toute la journée. Ils manquent quelque chose de leur vie. Peut-être sont-ils peu sûrs d’eux, ou juste ennuyés… Moi j’essaie de rester actif, de sortir, de rencontrer de belles personnes inspirantes et ça me laisse peu de temps pour les réseaux sociaux qui pour moi ne servent que pour le travail ou pour garder le contact avec les amis et les fans.

Tu as quitté Philadelphie pour saisir l’atmosphère cool de Los Angeles. Tu as envie d’aller découvrir d’autres vibes dans le monde ?

Oui, absolument ! Je pense quitter Los Angeles vers octobre et je réfléchis à Berlin mais je ne suis pas sûr, je n’ai pas passé assez de temps là bas. J’ai passé en tout plus de deux semaines à Paris mais la langue est trop difficile à apprendre. J’ai un peu de bases en espagnol mais bon, les barrières de la langues sont vraiment un obstacle. Donc je réfléchis, mais sérieusement, j’aimerais venir vivre en Europe quelque part. Cette tournée va me donner un vrai bel aperçu d’où j’irai prochainement.

C’est le sens que tu donnes à ta tournée ?

En quelque sorte. Et ça fait partie des trucs cool de la façon dont je gère ma carrière maintenant. J’ai une envie d’aller en Europe ? Ok, faisons une tournée et j’y vais. Si je n’étais pas en indépendant, je n’aurais pas pu le faire. J’aurais certainement été programmé sur le planning de quelqu’un d’autre à une heure décidée par quelqu’un d’autre. Et quand ces personnes sont enfin prêtes à ce que tu ailles en Europe, ce n’est qu’à ce moment là où tu y vas. Maintenant, je suis libre. Je me suis dis que je n’étais pas venu en Europe depuis 2013, j’avais envie de revoir des amis, alors je suis venu. Tout simplement.

Pourquoi l’Europe ? Qu’est ce que l’Europe peut t’offrir que tu ne trouves pas aux Etats-Unis ? 

Il y a ici une forte appréciation du rap et du hip-hop. Les gens écoutent réellement. Selon moi, la fan base européenne n’est pas vraiment dictée par le top 10 des hits radio. Ils aiment ce qu’ils aiment. Je ne généralise pas le cas aux Etats-Unis, mais ma popularité là-bas est vraiment dépendante et dictée par les passages radios. Aux Etats-Unis, si tu passes pas en radio, tu n’exploses pas. En Europe, on te soutient si on aime ta musique, sans que la radio ait un rôle à jouer.

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Tu écoutes des rappeurs français ou plus largement européens ?

Un peu. Je suis ami avec Nekfeu et son DJ Eliott dont la sœur Zoé est une amie proche. Donc j’ai pu un peu voir ce qu’il faisait ainsi que ses amis comme par exemple Deen Burbigo. C’était cool pour moi parce que j’étais vraiment juste venu traîner en tant qu’ami d’ami. Et j’ai vu ces gars monter en popularité et j’imagine que son dernier disque à Nekfeu est celui qui l’a vraiment catapulté vers la célébrité et vers le succès. Ce sont vraiment des bonnes personnes, très sincères donc je leur souhaite tout le succès du monde.

Nouvelles perspectives, nouveau nom ? Tu as pensé à te renommer Retrohash ?

Je ne sais pas ! On a Retrohash.com déjà qui est un site multimédia où tu peux checker tout ce qu’on fait. Retrohash, c’est un peu un parapluie et il y a plein de choses qui se cachent en dessous. On a les vidéos de Rap Life qui sont très intimes et qui sont vraiment une vitrine de ce qu’on est et de ce qu’on fait, le génial comme le pire, avec tout ce qu’il y a entre les deux. On a aussi plein de projets à côté, j’explore plein d’issues car le nom Asher Roth a effectivement des connotations. Et j’ai envie d’essayer plein de nouvelles choses qui me permettraient d’aller au delà de celles-ci.

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