Brav : « Ce n’est plus la musique qui vend »

vendredi 15 avril 2016, par Etienne Anthem. .

Depuis ses premiers efforts discographiques avec son groupe Bouchées Doubles, Brav mêle l’engagement à l’écriture. Sans rien compromettre de l’un ou de l’autre, même quand il se rapproche du format chanson comme sur son dernier album, Error 404. Un projet sorti chez Din Records, son label de toujours, qu’il a écrit et réalisé en un mois, entre deux concerts en appartement. Au détour d’un showcase parisien, on est allés parler avec lui de sa proximité avec son public, de la société de l’image et d’addiction aux nouvelles technologies. Real talk 2.0.

« Plus on devient des hommes plus on perd notre humanité. » À voir Brav fendre avec aisance la foule pour rapper au milieu de son public, ou de ses « amis », comme il aime à les définir, on peut se demander pourtant s’il ne promène pas avec lui cette capacité à créer de la proximité, interpellant l’auditeur par son jeu poétique avec les contraires. En appartement ou à La Bellevilloise, il finit son concert allant directement à la rencontre du public. Habitué à livrer de nombreux shows en appartement, on a l’impression qu’il a réduit les dimensions de la salle, l’espace d’une soirée.

Sur Error 404, le membre de Din Records assume clairement un rapprochement avec la chanson, exercice dans lequel il montre une aisance particulière, soutenue par un traitement particulier de sa voix qui donne une sensation de mélancolie numérisée sur un univers sonore plutôt cohérent. La veille, avant son showcase, on se retrouve dans un café du dix-huitième, à Paris, pour évoquer ce projet qui ne devait pas arriver si vite… mais qui révèle un flot d’énergies intarissables, comme la passion qu’a Brav à échanger, sans compter son temps.

SURL : Est-ce que tu peux nous parler du concept de Error 404, une anomalie, dans le langage numérique ?

Brav : Il y a une phrase qui résume assez bien l’album : « Cet album n’a pas de raison d’exister, c’est pourquoi il te ressemble. » Bien qu’il ait été réalisé très rapidement, en un mois et demi, il y a plein de petites histoires qui font la grande histoire d’Error 404. C’est un album qui est arrivé du jour au lendemain.

Tu avais pris ton temps pour Sous France ?

J’avais pris plus de temps, même dans la réalisation. En 2015, après Sous France, on a commencé à faire la tournée de concerts en appartements, on est partis à Aix-en-Provence, du Havre, ça fait neuf heures de route. Sur le retour, on a commencé à parler de ce projet-là, c’était le 14 septembre. Et arrivés au Havre, on avait pratiquement tout établi : le tracklisting, les idées de tout ce qu’on voulait faire, les déclinaisons, même les idées de clip, ça m’est venu presque aussitôt. Il manquait juste à écrire les textes, et dès que je suis arrivé chez moi, j’ai commencé à bosser un titre, puis deux… Au départ, on voulait faire un six titres inédits pour offrir ça aux gens, pour les remercier de la force qu’ils nous ont donnée en 2015. Sous France c’est mon premier album, et les retours que j’ai eu sont très encourageants. Surtout pour un artiste qui a eu une absence aussi longue que la mienne, depuis le dernier album de Bouchées Doubles, il y a une décennie. Car chaque fois que je partais en concert en appartement et que je revenais chez moi, j’étais galvanisé, un peu sur un nuage.

Est-ce qu’il y a une énergie propre aux concerts en appartement, que t’as pas connue dans les concerts classiques ?

On peut la connaître dans des salles ordinaires, sauf que dans les concerts en appartement, il n’y a pas d’artifices, pas de lumières, pas de barrières avec le public, puisqu’ il n y a pas de scène. Tu es à la même hauteur qu’eux, tu n’as pas le concert et puis une pause. Tu fais le concert, et dès que c’est fini, t’es directement avec les gens. Tu ne sors pas de la scène, personne ne va te virer de l’appart, on prend du temps, on discute, on échange. Les gens te font part de leur ressenti.

Tu es aussi moins protégé ?

Il n’y a pas de filtre et tu en prends plein la gueule, même si ça a surtout été du positif. Il y a eu des bonnes anecdotes, où tu te retrouves à dormir dans un studio, mais c’est marrant, c’est du camping. Je rentrais chez moi et j’écrivais mon ressenti, les choses que j’avais pu vivre. Et quand on a vu que j’avais 13 morceaux on s’est dit que c’était maintenant qu’il fallait le faire.

Et ça t’a inspiré en quoi sur Error 404 ?

C’est pas sur le thème, c’est sur l’énergie. J’ai écrit un morceau qui s’appelle « Préviens les autres », le refrain je l’ai écrit sur scène. C’est le premier que j’ai écrit de cet album, et aujourd’hui, quand je l’écoute, je me dis qu’il est étrange dans le disque, mais que sur scène, il y a un vrai truc qui se crée, parce qu’il a capté l’énergie du moment. Après les thèmes, c’est les thèmes auxquels je suis attaché, ceux de ma vie, de tout ce qui m’entoure.

Il y a un thème majeur qui est une vision mélancolique de la modernité, à travers les technologies numériques notamment.

Le titre phare tourne autour de ça, c’est vrai qu’il y a plein d’anomalies aujourd’hui sur les rapports humains. Même l’intro, « Anomalie », c’est un peu le fait de remettre en question notre sensibilité, notre façon de vivre. Le premier album Sous France, c’était surtout tourné sur moi-même, même si ça parle à tout le monde, c’était très centré sur ma famille. Aujourd’hui, j’essaye de voir les choses vers l’extérieur, et qu’est-ce qui fait qu’on voit vers l’extérieur, c’est nos moyens de communication. Le thème général c’est ça, et plus ça va aller, plus on va agrandir notre vision.

brav interview 2016

Les tournées en appartement s’appuient beaucoup sur le Web ?

Totalement, notre tourneur c’est Facebook !

Est-ce qu’il n’y a pas une contradiction avec le fait de critiquer les méfaits de la technologie numérique ?

Je ne critique pas les méfaits, je critique l’utilisation qui en est faite. Moi je suis un enfant d’Internet, je l’ai vu grandir, j’ai connu les modem avec un bruit de merde. J’utilise tous les moyens de communication, et ça n’est pas l’outil que je regrette, c’est la façon qu’on a de l’utiliser. C’est ce que je dis dans le morceau, on est connecté au monde entier, mais on n’a rien à lui dire, c’est hallucinant quand même. On peut avoir tous les renseignements possibles sur n’importe quoi, et aujourd’hui, tu vois sur les réseaux sociaux des gens qui se disputent parce qu’ils sont persuadés d’avoir la vérité. On a des pièges, les gens tombent dedans, ils ne regardent pas les sources. Vérifiez les gars, faites attention à ce que vous dites. Tu ne connais pas une communauté, va chercher sur elle, sur Internet, il y a des tas de sites qui vont t’expliquer. On a des réponses, le seul problème, c’est qu’on est perdus dans les méandres de commentaires de personnes qui sont persuadées d’avoir la vérité.

On peut se demander si « la théorie du complot, c’est pas aussi un autre complot » ? 

C’est exactement ça. Je ne pourrais pas mettre la responsabilité sur une machine, c’est des gens qui la manipulent. C’est pas Facebook, c’est pas Twitter, mais c’est les gens comme ils l’utilisent. Ils sont là à lyncher des mecs parce qu’ils ont dit telle ou telle chose, alors qu’ils n’ont même pas compris le sens de son propos.

 

« L’auto-tune c’est devenu commun, faire un album sans, ce serait un peu rétro »

 

On sent que ça a été assez spontané cet enregistrement, il y a une écriture assez brute. Est-ce que t’as pris du recul sur ce que tu disais dedans ?

Je suis en train de prendre du recul actuellement, en fait je me rends compte qu’il y a des petites fautes de grammaire, deux, trois. C’est marrant, parce que c’est une vraie erreur aussi finalement. Ça montre que je suis pas forcément un littéraire, je fais des fautes comme tout le monde, j’ai pas fait d’études.

La grammaire en chanson, c’est adaptable, non ?

C’est des petits détails sur lesquels j’accroche. Quand j’ai fait l’album, qu’il était terminé et mixé, c’était dur pour moi de me dire « est-ce que je l’aime, est-ce que je l’aime pas, est-ce que j’apprécie ce que j’ai fait ou pas? ». J’avais pas le recul nécessaire. J’écrivais en studio, je dormais au studio. Et c’est là que c’est important d’avoir une équipe. J’ai autour de moi des gens compétents dans leur domaine, j’ai Proof, un beatmaker qui a une vision différente pour chaque artiste avec lequel il travaille. J’ai Alassane qui est le directeur du label, même Julien (chef de projet chez Din records), qui donnaient leur avis, si je galèrais sur une phrase. Même Dominique (Dominique Comont, pianiste qui accompagne Brav sur scène), il a composé au piano un titre qui s’appelle « Marla Singer ». Un jour il m’a dit « tiens, écoute », j’ai dit  » ça correspond », je l’ai pris, j’ai écrit dessus, on a changé la batterie, et c’est devenu ce que c’est devenu.

Avec l’utilisation de l’auto-tune, j’ai l’impression que dans le traitement de la voix il y a quelque chose de nouveau sur cet album ?

Dans le traitement de la voix, je ne peux pas te dire ce que Proof met comme filtre, c’est même pas un auto-tune en fait. Ça ressemble, il a numérisé la voix pour que ça donne un côté encore numérique. Et ça donne un grain, c’est pas comme si on utilisait un outil. L’auto-tune c’est devenu commun, faire un album sans cette petite particularité, ce serait un peu rétro. Je voulais quand même être dans l’air du temps, moi je suis un compétiteur, je suis dans la musique actuelle, il faut que j’utilise tous les codes que je connais.

Que ce soit rap ou pas ?

Ou pas rap, j’ai pas de limites. J’aime pas qu’on me dise « la barrière, tu la passes pas ». C’est comme un enfant, tu lui dis « fais pas ça », il va le faire direct, je suis pareil.

Pour toi, c’est toujours du rap ce que tu fais ?

Pour moi c’est du rap oui.

C’est une question qui t’intéresse, de savoir si c’est du rap ou pas ?

En fait, j’essaye de comprendre pourquoi les gens ne me mettent pas dans le rap. Qu’est-ce qui définit le rap ? Pourquoi Brav on dirait que c’est pas du rap, et qu’on dirait qu’un mec comme Oxmo c’est du rap ? Je pense que je fais quand même du rap, j’aime trop kicker, débiter des mots.

Tu alternes aussi le chant et le rap dans cet album.

En fait, moi je marche à la sensibilité d’un morceau, je ne marche pas à ce qu’il faut absolument faire pour vendre. Je n’aime pas contenter les gens. Le morceau « 25 minutes », il est complètement décalé, on dirait même pas que c’est Brav qui chante. Je vais le faire juste parce qu’il me parle, et le fait que tu saches jamais à quoi t’attendre, c’est là que c’est intéressant. Sinon tu demandes à un acteur de jouer toujours le même rôle, c’est chiant. Demain fais lui faire de la comédie, de la tragédie, et s’il est fort dans tous les domaines, c’est là que c’est un vrai acteur, sinon ça sert à rien. Sors-le de chez lui, s’il est bon que dans son domaine c’est un chat d’intérieur, moi je suis un chat d’extérieur. (rires)

 

« On est dans la société de l’image, c’est plus la musique qui vend, c’est la façon de t’habiller dans le clip »

 

C’est pas lié à une réflexion commerciale, où tu t’es dit que tu toucherais plus de monde avec le chant ?

Pas du tout. J’ai commencé à chanter sur mon premier maxi, en 2003  avec Bouchées Doubles, Sol pleureur. Je faisais des vocalises, c’était la première fois. Et petit à petit, j’en ai fait plusieurs. Je ne sais pas chanter, je n’ai jamais pris de cours de solfège, de chant. Depuis ce morceau, j’ai fait mes refrains chantonnés, et je disais pas que je chantais, c’était du rap chantonné, c’était des airs. Après je me suis affirmé, et maintenant je suis exonéré de toute contrainte. Et c’est surtout par rapport à la musique actuelle, ce qu’elle est devenue. Tu vois des mecs comme Gims, comme Stromae, comme Soprano, qui ont poussé la chanson tellement loin, qu’aujourd’hui y a plus de codes. Je pense qu’avant on aurait dit « il est complètement fou, c’est de la merde ». Faut prendre son temps, je voulais pas griller les étapes, et fallait que je sois sûr de ma voix. Dominique c’est comme ça que je l’ai rencontré, il est prof de chant. Et pour assurer ma voix, il fallait que j’aille le voir. Plus je traîne avec lui et plus je me libère. Demain [au concert], on va faire des choses un petit peu sorties de l’habitude.

Dans le clip de « Bagarrer », on te voit te battre avec ton père, dans celui de « Revolving », tu apparais comme une sorte de double de lui. Tu aimes bien jouer sur la dualité ?

En fait, « Revolving » ça veut dire renouvellement, c’est la répétition. J’aime bien que mes clips ne soient pas forcément à l’image du morceau, mais qu’il y ait une seconde lecture dans le morceau. Il y a ma grand-mère et ma mère dedans, donc mon père s’occupe de sa mère, et c’est des répétitions. Me battre avec mon père dans « Bagarrer », c’était… comment t’expliquer… c’est très dur, mais poétique. Aujourd’hui, on demande à tout le monde de vivre sa vie comme il voudrait, mais on oublie qu’on a été éduqué et qu’on a des codes dans nos vies, qui ne sont que des répétitions des histoires de nos parents, en fait. Nos parents nous ont appris des choses, et on veut s’émanciper de ça, il faut « tuer le père ». Mais en fait, c’est enlever la répétition, les erreurs qu’on a déjà subies. Nos parents ont fait des erreurs, on va pas refaire les mêmes choses bêtement. Donc se battre pour ça. J’aime bien que ma musique raconte une chose et que le clip soit pas très éloigné, et qu’il y ait un deuxième degré de lecture.

Tu apportes un gros soin aux clips, tu n’as pas peur que ça dilue parfois le propos, la force des images ?

Je sais pas, je pense que pour le moment, mes clips ont plus apporté un côté positif, ça a amené les chansons ailleurs. Quand tu entends un titre, tu as un imaginaire qui te fixe des règles. Quand je viens et je casse ces règles par un autre clip, ça permet de sortir de ce que t’avais défini. Tu pensais avoir la vérité, mais la vérité, je te l’ai amenée ailleurs, et finalement tu es perdu, ça élargit la vision des choses. Une belle chanson c’est bien, mais quand elle est aussi belle esthétiquement, ça va beaucoup plus loin. On est dans la société de l’image, ce n’est plus la musique qui vend, c’est la façon de t’habiller dans le clip qui fait que tu vas vendre ou pas, et je fais très attention quand même à ça.

C’est quelque chose que tu dénonces, mais tu es obligé de vivre avec l’image.

Je fais très attention. Après, si c’était que moi, je m’en foutrais de tout ça. Mais s’il faut le faire, j’essaie de le faire d’une manière qu’on n’a pas l’habitude de voir.

 

« Dans les mecs qui font du rap aujourd’hui, peu arrivent à faire de l’argent »

 

Tu dois faire une conférence sur le rap, le 17 mai à Vénissieux, c’est courant ?

Je ne fais pas des conférences, c’est plus des rencontres avec les gens. Je ne suis pas un conférencier, je fais des rencontres, c’est important, c’est aussi une petite démarche pour ramener les gens à la réalité. C’est surtout pour les jeunes, parce que nous on a un certain âge, on a compris ce que c’était que le rap. On n’est pas influencé par les codes qu’on nous propose. Malheureusement, il y a énormément de jeunes qui le sont, et ma démarche c’est un petit peu pour montrer que le rap c’est aussi ce que je représente. C’est pas forcément des gars stéréotypés, avec de grosses berlines, de la thune partout, des kalash, il y a autre chose.

Du rap dans lequel il « y a autant de fond que dans une poche d’urine » ?

C’est ça, exactement.

T’as un jugement assez dur sur le rap d’aujourd’hui, en tout cas sur une partie du rap ?

Ça ne me correspond plus. C’est pas que je regrette, j’aime bien la dynamique du rap actuel, je trouve que musicalement, il y a plein de choses qu’on nous propose qui sont mortelles. Le seul problème, c’est comme l’utilisation qu’on fait d’Internet, c’est qu’on ne sait pas gérer cette discipline. Je ne demande pas aux gens de rapper comme des techniciens parce que d’abord c’est de la musique. Après, tu n’as pas besoin d’être engagé forcément pour une cause pour me parler, mais de me raconter une histoire, raconte-moi ton quartier, mais raconte le moi d’une façon qui me plaise. Ne me dis pas qu’il y a des kalash, des kalash on en a jamais vu, arrête de mentir. Ne me mens pas, en fait. Même si demain tu devais faire un thème sur une voiture, fais-le, mais intelligemment. Je m’en fous que la voiture elle ait été faite en commerce équitable, raconte moi une histoire qui me sorte de mon habitude.

On sort les gens de leur habitude en leur vendant du rêve, et il y a énormément de jeunes qui sont perturbés par ça, ils y croient vraiment. Ils se disent « ouais, on va se kalasher », ils vont vraiment au bout de leur imaginaire. Ma façon de venir en petite rencontre comme ça, c’est aussi pour casser ces codes là, leur dire « non les gars, c’est faux ». Dans les mecs qui font du rap aujourd’hui, peu arrivent à faire de l’argent. On n’en vit pas, arrêtez de mentir. C’est pas de la prévention, je ne suis pas là-dedans non plus, mais j’essaye un petit peu de ramener les gens sur terre, de leur dire « écoutez les gars, il y a aussi ça ».

Le rap, c’est pas ton seul métier ?

Actuellement, je ne fais que du rap.

Tu es infographiste aussi, au départ ?

L’infographie, elle est née par dépit. Au départ, avec Din Records, on n’avait pas d’infographiste capable de pouvoir mettre en images nos idées. On avait des idées définies, le groupe Ness et Cité, donc Proof, Sals’a, et Alassane Konaté, le directeur de Din Records. C’est le premier groupe de rap havrais, il y en avait d’autres mais c’était eux les fondements. À cette époque il n’y avait personne, donc j’ai commencé l’infographie à ce moment là, où je me suis rendu compte que personne pouvait mettre en images notre musique.

C’était un sens de la débrouille ?

C’est totalement ça. J’ai pas fait d’études, j’ai fait une formation, je suis resté trois mois, parce qu’après, c’était compliqué pour rester sur les bancs de l’école. J’avais quitté l’école pour pouvoir travailler, finalement je suis allé dans l’infographie tout seul, et donc c’était un moyen de créer son propre travail. J’ai continué comme ça, j’ai évolué, j’ai fait de la photo, puis après j’ai fait de la vidéo quand ils ont sorti le Canon 5D MarkII, tout naturellement. Et à la période où il y a eu une pause de Bouchées Doubles en 2006, je me suis concentré sur l’infographie, parce qu’il fallait bien que je mange et que je fasse vivre ma famille. Et puis j’ai développé comme ça, Médine m’a demandé des clips, Tiers Monde m’a demandé de m’occuper de son infographie, de tous ses visuels, les clips aussi. Donc je me suis occupé de tout pour lui. Chacun s’est développé, et à un moment j’ai eu envie de reprendre le chemin du studio. J’avais pas fait le tour, parce qu’on fait pas le tour de l’infographie, y énormément de métiers, mais au moins j’avais pris de l’assurance dans mon métier, pour pouvoir me dire: « Écoute, je vais retenter d’écrire un album. »

Dans la modernité numérique que tu critiques, tu évoques aussi le libéralisme économique ?

Moi ce que je regrette plus, c’est les rapports humains en fait, c’est la façon qu’on a de négliger les gens qui nous entourent, alors qu’on passe du temps à envoyer des smileys à des gens qu’on connaît même pas, en fait. Je regrette vraiment, je suis le premier, quand j’ai emmenagé chez moi, au bout de deux ans, je me suis rendu compte que je connaissais pas mes voisins. J’ai beaucoup d’empathie pour les gens, c’est mon défaut. Je réponds à tout le monde sur les réseaux sociaux, c’est trop important, je ne peux pas négliger une personne. Ca me bouffe mon temps, mais je suis obligé de le faire. L’autre fois, il y en avait quatre-vingt dix en une soirée, j’ai dû répondre. Comme Médine disait, c’est pas des fans, c’est des amis.

brav interview 2016 2

C’est un peu le produit de la modification des relations sociales avec Internet, il y a plus d’horizontalité.

On est totalement dans ça, on a compris que c’était pas comme ça qu’il fallait voir, c’est pas vertical, c’est horizontal. Même des fois, j’ai tendance à me mettre un peu en-dessous.

Ca peut donner de l’espoir sur l’utilisation des nouvelles technologies ?

Oui, une bonne utilisation très pragmatique, très simple, franche aussi. Je me rends compte que ce qui tue, c’est le fait de ne pas forcément dire la vérité. Là y a quelqu’un qui m’a envoyé un album de 20 titres, je lui ai dit que ça faisait peut-être beaucoup, mais y avait des morceaux que j’aimais bien, et je lui ai dit, c’est important. Il y a énormément de personnes qui nous écrivent à Din records pour nous dire « écoute, j’ai arrêté les études, et j’ai écouté tes albums, ça m’a donné envie d’aller plus loin, aujourd’hui je suis à Sciences Po' ». Des mecs ils ont été à Sciences Po’ parce qu’ils ont écouté un album de rap, alors que moi je faisais pas attention, j’écrivais. J’ai un BEP moi.

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