Lettre à MC Solaar

mardi 26 septembre 2017, par Etienne Anthem.

En prenant de l’âge, le rap français, cet univers impitoyable, voit s’écouler des destinées très diverses. Il y a ces rappeurs qu’on oublie, ceux dont on se dit « ok pour un dernier tour de piste », et ceux sur la trajectoire desquels on n’a pas fini de s’interroger. Claude M’Barali fait partie de ces derniers, un MC à part dans l’histoire du rap français, capable de placer le mot « antépénultième » dans un morceau possee-cut, avec le plus grand des styles. Alors que le 3 novembre prochain, MC Solaar s’apprête à sortir Géopoétique, son premier album depuis dix ans, nous avons voulu nous adresser à lui. Une lettre écrite par une sorte de Stan bienveillant, dont la psychothérapie aurait été couronnée de succès, et qui saurait enfin parler du seul vrai sujet qui compte avec l’idole de son enfance : la musique.  Si Claude MC ne nous doit rien, ce n’est pas une raison pour ne rien demander. Et puis, Laarso aime bien trop les mots pour les prendre au pied de la lettre.

Cher Claude MC,

Tu permettras que je t’appelle comme ça et que je te tutoie. Si je suis tombé dans le rap à la sortie de l’enfance, c’est d’abord à cause de toi. Comme beaucoup d’autres, si j’ai plongé dans cette océan addictif qu’est le rap, c’est en grande partie par ta faute. Et aujourd’hui, en vertu des droits universels de l’auditeur mélomane, toute cette folle histoire m’autorise naturellement à… pas grand chose. On ne va pas se mentir. Et d’ailleurs ce canard n’était même pas né quand tu écrivais déjà de très belles pages, en préambule au livre du rap français à succès.

Mais merde, quand même, 25 ans que je te connais. Oui, je sais, c’est un peu unilatéral comme relation. Et tu risques de trouver ça gonflé, cet inconnu qui semble vouloir te demander des comptes, comme si tu faisais partie du domaine public. Car l’heure est à la critique que j’aurais préféré ne pas avoir à écrire – laissons la psychopathie à Stan, ce fan d’Eminem un brin tourmenté. Pas clair son histoire d’ailleurs : Stan ne parlait à peine de musique à son rappeur préféré. Car, soyons réalistes, on ne peut raisonnablement pas compter sur Yann Moix ou Nagui pour te poser une question sérieuse à ce sujet. Pourquoi ce choix de sample ? Une nouvelle influence musicale ? Laissons-leur la plus facile célébration de ton statut de poète, ça rentre plus facilement dans leur grille de lecture. Bref, tant pis si ça ne fait pas pleurer dans les chaumières, mais moi je t’écris pour te parler simplement de musique, de notes, de son.

D’après ce que tu as dit dans de récentes interviews, ce public, si mystérieux dans sa composition, a joué un rôle dans ton projet de nouvel album. Apparemment, les nombreux retours positifs sur ce titre inédit balancé par Jimmy Jay cet hiver, ça t’a motivé à aller enregistrer, ce que tu n’avais pas fait depuis dix ans. Une bouteille à la mer lancée par ton ancien comparse musical, qui a vite émergé à la surface des réseaux sociaux, propulsée par l’alchimie si particulière qui caractérisait votre duo. Celle qui avait donné naissance à deux albums parfaits, Qui sème le vent récolte le tempo et Prose combat.

Pour être sincère, à partir de Paradisiaque, j’ai commencé à décrocher, me contentant d’entendre tes sons à la volée. Quelque chose avait fait son temps dans ton évolution musicale, après ta séparation avec Jimmy Jay. Et pourtant, il y avait toujours quelques morceaux pour sauver la mise, ramener un peu de ta magie, laisser entendre que tu n’avais rien perdu de ta créativité lyricale et de ton flow agile. Mais ceux-ci seraient désormais charpentés par des beats plus hasardeux. Disons-le, des instrumentaux lorgnant souvent vers la variét’ qui, la plupart du temps comme tu le sais, s’acoquine et rime avec obsolète. Désolé, mais si je ne te le dis pas, qui va s’en charger ? On parle bien de rap, non ? Nous sommes certainement des millions à avoir apprécié ton style unique, et c’est sûrement en ça que tu restes à part. Gendre idéal du rap français pour la chanson française, on t’en a parfois voulu pour ça, à force de plaire à peu près à tout le monde. Bernard Pivot du ghetto ne choquant ni la bourgeoisie, ni les députés inoccupés en mal d’affaire sensationnelle.

Sûrement en avance sur le rap, d’ailleurs, dans ta manière de rester très libre par rapport aux codes imposés du genre. Pas un hasard si tu es l’un des seuls à avoir su se faire connaître outre-Atlantique. Un emcee trop malin pour céder à l’enfermement dans un quelconque rôle, et rappant aussi bien avec Bambi Cruz que Guru de Gang Starr. Tu en as peut-être eu marre d’ailleurs, de tant d’éloges. Et au début des années 2000, qui sait, peut-être tu t’es moins reconnu dans ce rap français. 50 Cent et MTV sont passés par là. Le jeu a changé, muté, et tu t’es peut-être dit que tu n’avais plus vraiment de place sur ce nouvel échiquier plus divertissant, mais moins lettré.

Le temps qui passe t’a toujours obsédé, à en croire nombre de tes textes, jusqu’à ce « Sonotone ». Ta mise en retrait du monde du rap, était-ce pour éviter de devenir un vieux rappeur mimant ses anciens succès et courant après quelques frissons de l’âge d’or ? Comme d’autres, qui n’ont pas connu la chance – ou le cadeau empoisonné, ça dépend – d’un succès auprès du « grand public ».

À l’annonce de ton retour qu’on n’attendait plus, je me suis laissé aller à espérer un sursaut musical. Vaine nostalgie peut-être. À entendre « Sonotone », on ne peut s’empêcher de se dire que ton talent est gâché par une orchestration médiocre, et que ton style vocal mérite bien mieux. La déception est à la hauteur de la situation d’un amour contrarié. En effet, ta facilité à aligner les rimes brillantes reste, elle, intemporelle. Mais j’ai dû rêver d’autre chose. Que tu aurais croisé Statik Selektah ou Q-Tip en ballade dans la capitale et que, par hasard, vous auriez échoué ensemble dans le studio de Tefa, où semble-t-il tu as mixé ce huitième opus. Tu n’aurais même pas eu à aller si loin : les beatmakers français – ou belges – n’ont jamais été si nombreux, si doués, et nulle doute que tous jubileraient à l’idée de travailler avec toi. Si Play Two, label dont TF1 est actionnaire, n’est pas spécialement réputé dans notre microcosme du rap, la présence de Tefa peut rassurer. Un nom de producteur qui est un gage de maîtrise du sujet, en termes de réalisation, et on peut espérer au moins quelques coups réussis sur Géopoétique, qui sort donc le 3 novembre prochain.

Je ne pense pas m’avancer si je te dis qu’on est plus d’un à espérer qu’une chose : t’entendre à nouveau sur un beat dépouillé, un break de batterie sur la FM, enfin débarrassé de tous ces tics de variété qui semblent avoir été calibrés pour ne (dé)plaire à personne. Ou quelque chose d’actuel – cf le podcast Beatmakers avec Animalsons qui aborde justement la crainte d’être « dépassé », en tant que faiseur de beat –, que l’on aurait pu trouver associé à des rimeurs d’aujourd’hui. Peut-être que je me berce d’illusions, à espérer que tu ne te sois pas fait avoir par un représentant peu scrupuleux en vente de prothèses auditives. Être un vieil adepte du prose combat, ça donne quelques audaces on dirait. Dont celle de te suggérer de prendre ce temps, tu sais, que tu aimes tant poétiser en brouillant les pistes. J’espère qu’avant de t’en aller dans une dernière ellipse gainsbourienne, tu reviendras faire un tour du côté du rap. Je pense que tu sais, mais le rap a continué son chemin, et aujourd’hui, peut-être que tu devrais aller l’écouter de plus près. Il ne cesse de jouer avec le temps, mélangeant les influences comme à l’époque où le swingueur philosophique têtu était vétu d’un simple short. Comme tu sais, flambent les modes qui sont à temps partiel. Je m’en vais réécouter tes deux premiers albums, en espérant le retour du jeune MC Solaar.

Amicalement,

Un auditeur parmi des millions

 

Si tu es curieux, sache que nous avons également écrit à Malek Boutih et à Gucci Mane.

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