Interview – Grems, chasseur de vampires

jeudi 1 janvier 2015, par Joackim Le Goff.

Interviewer Grems, c’est un peu refaire le monde. À chaque question, les idées bouillonnent, les punchlines fusent, les thèmes s’enchaînent. Un discours entier, un peu comme sa musique. Clairement, Miki ne tient pas sa langue dans sa poche, mais ça, on le savait déjà. C’est aussi pour ça qu’on l’apprécie autant. Un individu unique dans ce milieu de plus en plus consensuel, qui n’hésite pas à shooter dans le tas si la situation l’exige. Certes, ses positions peuvent prêter à débat, ses saillies perturber ses confrères ou le lecteur sensible. Et alors ? On parle d’un type qui a connu le succès dans deux domaines artistiques – la musique et le design -, qui approche les quinze ans de carrière, et surtout n’en a rien à foutre de choquer ni d’exagérer, tant que le message passe. Puis, si tu n’as pas écouté son album Vampire, c’est qu’au fond tu n’écoutes pas de rap français.

Rap, Internet, sperme, graphisme, deepkho, nombril, quenelles aux « boys bands » et Directeurs Artistiques : les hashtags d’un entretien fleuve avec un MC qui porte ses couilles. Interview réalisée avec Simon Boileau.

Pour commencer, tu nous confirmes que Vampire est ton dernier solo ?
Pas de scoop, l’annonce a commencé par « je n’arrête pas la musique, j’arrête de faire des albums solos. Je ferai des EP et des groupes ». Malheureusement comme Internet et l’abrutissement de masse sont monnaie courante en ce moment, forcément les gens ne savent pas lire : c’est le téléphone arabe, une info reprise, … Alors que c’est juste l’arrêt des solos.

Par lassitude de bosser seul ?
Je suis fatigué de faire des solos. J’ai fait le tour de ma boucle, je préfère être un peu en retrait rapologiquement pour les années à venir, pour que ça soit plus efficace au niveau du résultat. C’est très difficile de se satisfaire quand tu as 6 solos, 9 avec les groupes, 50 compiles … Tu sais, c’est très prenant de bosser toute la journée sur des albums, c’est dur physiquement et moralement.  Stopper la boulimie pour la qualité. Ça fait 13 ans que je fais ça, personne n’a duré aussi longtemps sans connaître de chute. J’en ai pas encore connu, donc je n’ai pas l’intention d’en connaître.

Ne pas faire la saison de trop, dirait un sportif …
Exactement. Arrêter en faisant quelque chose d’utile et de bien, sans décevoir le public. Aller au bout de la connerie de l’œuvre.

Tu vas ralentir les lives du coup aussi ?
Tout va être mieux, mais pas au même rythme. Plus rare. Bon, comme il y a l’album de Hustla, s’il y a une tournée de 80 dates, on fera 80 dates.  Si les conditions sont propices à bien faire le travail, on ira. Après, c’est vraiment une histoire de moyens. À 34 piges, tu es papa, tu n’as plus de temps à accorder aux – comment on appelle ça -, aux abrutis et aux gros bouffons qui ne savent pas bosser.

 

Maintenant, n’importe quel jeune veut arrêter l’école pour faire du rap, alors que ça fait 25 ans qu’il ne faut pas arrêter l’école pour le rap, c’est la pire des conneries à faire.

 

Dans Vampire, on te sens un peu fatigué par cette génération web, hyper-connectée, qui cherche tout le temps à faire le buzz. Il suffit de citer le  « niquez vos mères avec Facebook et Instagram » dans « Cimetière ».
Je vais être un des seuls à le dire encore une fois, mais ce que Facebook fait aux jeunes et à l’être humain, c’est une catastrophe. Tu as une génération d’arrivistes, non-curieux, opportunistes, qui vient d’arriver à cause de ce truc-là et ne fait que regarder son propre nombril. Alors, on peut trouver des points forts à Internet, du style « ouais, c’est cool pour la musique ça développe bien, t’as vu maintenant on t’écoute plus ». Oui, oui, peut-être. Mais le problème, c’est que tu as maintenant n’importe quel jeune qui veut arrêter l’école pour faire du rap, alors que ça fait 25 ans qu’il ne faut pas arrêter l’école pour le rap, c’est la pire des conneries à faire. Internet leur donne des ailes. On dit « ouais, l’accès à l’information », super, mais quel accès à l’information ? Quand tu vois les commentaires sous les vidéos, faut arrêter. Faut que les enfants aillent se coucher. Tu postes un truc sur le web, les gens ne lisent pas, ils procèdent avec des images. C’est la grosse différence avec mon époque : avant, on cherchait, maintenant les gens ne cherchent pas du tout, ils s’en battent.

 

Les jeunes regardent une vidéo, ils pensent que le MC est riche alors qu’il n’a même pas mangé. Personne n’est là pour expliquer que ce n’est pas la life !

 

En plus, dans le rap, c’est l’apologie du « nique ta mère », « mes shoes », « mon nombril » : tu connais un mec qui n’a pas dit ça, ou ne le dit pas ? Qui prend un risque pour la moralité de son pays, pour les valeurs, la nature ? Non, parce que grâce à Internet et Facebook, quand tu tient ce discours, tous les types qui sont dans ce business vont te sortir « c’est pas business, c’est pas bien ». Eux ne cherchent qu’une seule chose, avaler du sperme et être corporate. Mais c’est pas ça le rap, si tu fais du rap c’est un engagement. C’est le paradoxe de l’égotrip et du vomi. Sauf que du vomi, il n’y en a plus. Il n’y a plus ce truc revendicatif, la seule revendication que tu trouves aujourd’hui c’est « regarde-moi, ma vie est immensément grande ». Les jeunes regardent une vidéo, ils pensent que le MC est riche alors qu’il n’a même pas mangé. Personne n’est là pour expliquer que ce n’est pas la life !

Je ne connais personne dans le rap qui, depuis 15 ans, a pris ses couilles pour dénoncer ça. Ils sont où les Gainsbourg et les Coluche ? Non, non, mon nombril, mon zgueg, mes chaussures. C’est honteux. C’est la raison pour laquelle plein de gens ont quitté ce pays, dont moi.

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Ca fait combien de temps que tu as quitté le pays ?
4 ans, depuis Sarkozy. J’ai été à Londres et maintenant je suis à Bruxelles. En Belgique, les gens ont du respect, de la pudeur. Alors que le concept de la France … « Bonjour, ma réussite sociale c’est d’habiter à Paris dans une boîte à chaussures et d’avoir un taff de D.A à 1800 euros par mois ». C’est quoi ce délire, ça sert à quoi ? 1800 euros, ça ne te permet pas de vivre à Paris, en plus dans une boîte à chaussures ! Où est la réussite des gens ? Un labyrinthe social dans lequel tu galères pour payer ton loyer ? C’est juste le truc sur la feuille, qui dit « je suis D.A et j’habite dans un appart à Paris » qui te rend heureux ? C’est pas une réussite. Ici, c’est gris. Sans compter les incapables qui tirent les gens qui taffent vers le bas.

Le fait d’insister sur le fait que ton métier c’est d’abord le design et non pas la musique, ce n’est pas ce qui t’as permis de conserver cette liberté artistique et de discours ?
Non. Il faut être un abruti total pour se dire « je vais faire de la musique et gagner de l’argent avec la musique ». Ou à la rigueur, tu fais comme mes amis qui font du son, sont connus, mais qui à côté de ça font de la musique de pub à côté. Ou sont ingé son. Ils acceptent de joindre l’utile à l’agréable, s’ils veulent manger ils acceptent le côté chiant de leur taf. C’est un compromis. Même dans mon métier, je ne suis pas devenu Grems exprès. C’est arrivé par accident. J’apprenais à l’école « il faut que je sois designer et que je fasse du caca toute la journée ». J’ai appris ça, pourtant j’étais fan d’art abstrait, de Pollock, … J’avais trop envie de faire ça dans ma vie. Mais, dans ma tête, je me voyais pas aller faire l’artiste aux Beaux-Arts. C’était « je vais aller en design et apprendre le graphisme », et même si j’aime l’art abstrait, je m’imaginais mal sortir de l’école avec des bouts de bois et des tâches de peintures pour trouver du taf. J’ai décidé de faire ça, mais en même temps je faisais du graff. Faut pas se mentir, quand tu veux rentrer dans une institution comme les Beaux-Arts, le graff tu le mets de côté. Tu leur dis « non, le graff j’ai arrêté, c’est nul ». Puis tu fais ton graff dehors, comme tu fais ton rap dehors, c’est ta passion ! Mon sport du dimanche, c’est le hip-hop et à côté j’ai un métier. Sauf qu’un jour, tout s’est croisé. Je faisais des dessins pour mon label et avec ce que j’ai appris à l’école et au boulot, je me suis dis que je tenais un truc : « Bam, je peux faire un style hyper populaire sans me travestir ». Et encore, me travestir ou pas, j’en ai rien à branler : je fais du graphisme pour l’argent, les gens ne comprennent pas. On me dit que je m’amuse. Oui je m’amuse, mais être artiste c’est prendre des risques pendant quinze ans et ne pas manger, galérer, avoir des problèmes. Avant d’être Grems, j’ai monté mes propres boîtes, j’ai fait les trucs les plus douteux en graphisme. Mais si tu ne le fais pas, tu ne peux pas comprendre. Qui t’a dit que tu ne pouvais pas faire un métier que t’aimais bien ? Il faut juste accepter les trucs qui sont chiants. Par contre, je distingue toujours mon travail et ma passion. Ma passion me permet de respirer. Rapper m’a permis d’apprendre l’anglais et de faire trois fois le tour du monde. Quoi de plus beau que ça ?

 

Vous avez des hôpitaux gratuits et vous dites ‘nique ta mère’ à ton pays ? Ben ouais, c’est pour ça que j’ai quitté ce pays, c’est la honte.

 

En parlant de tour du monde, tu étais il y a quelques temps au Sénégal pour le festival « Interférence ». Comment ça s’est passé ?
Super bien, ça remet les idées en place et les pieds sur terre. Tu vois des mecs qui ont trop de level et qui n’ont pas de matériel, mais qui font quand même. Tu vois la culture africaine, c’était le seul continent que j’avais pas fait. C’est super enrichissant, super fort mentalement. T’arrives d’un pays où on te soigne gratuit et les mecs là-bas te demandent « pourquoi t’aimes pas ton pays ? », eux qui y vont à la nage pour taffer et prendre de vrais risques. Tu leur expliques la situation et c’est choquant : ils ne comprennent pas, ils te disent « vous avez des hôpitaux gratuits et vous dites ‘nique ta mère’ à ton pays ? ». Ben ouais, c’est pour ça que j’ai quitté ce pays, c’est la honte. Mais, franchement c’est que du bonheur. Tu voyages, tu rencontres des gens, tu échanges musicalement et artistiquement, il y a de la curiosité partagée des deux côtés. C’est enrichissant autant pour moi que pour eux. J’ai fait trois concerts là-bas, trois morceaux, un vernissage. Ça fait beaucoup en six jours !

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Puis j’ai eu une grosse frustration, puisque je n’ai pas reçu mes bombes de peinture sur place. Donc j’ai dû me mettre exactement dans les mêmes conditions que les gens du pays. En même temps, tu ne dis pas « je ne peins pas parce que j’ai pas mon matériel » : n’importe qui fait n’importe quoi avec ce qu’il ramasse par terre. Par exemple, j’ai vu un mur et je n’avais qu’une craie donc j’ai composé avec. Ca fait du bien, c’est ça être un artiste : connaître chaque médium et être capable de produire quelque chose avec. Un plasticien.

 

 En France, on invente rien. On recopie mal un truc qu’on croit comprendre et qu’on ne comprend pas.

 

Le thème derrière le terme Vampire, c’est dénoncer les MCs qui se sucent le style entre eux ?
Dénoncer l’arrivisme de masse, la copie et la pauvreté de la curiosité française. En France, on a jamais su inventer quelque chose à nous, comme ont pu le faire les cainris ou les Anglais. En France, on recopie mal un truc qu’on croit comprendre et qu’on ne comprend pas. C’est commun à toutes les générations, surtout la dernière. Des suceurs de sang qui arrivent et font « ça c’est bien, je vais faire la même chose ! ». Il n’y a aucune curiosité, on ne comprend pas de quoi on parle. Du coup, tu as des milliards de gens qui arrivent et interprètent mal les choses. Genre « tiens, ça marche, je vais refaire pareil ».

C’est ça les vampires ?
Par exemple, de toute ma carrière, je vois des trucs à moi partout et tout le monde me le dit ! Moi qui suis un des seuls mecs à avoir pris des risques et m’être fait traité de fou pour ça, fallait bien que je me venge ! C’est un plaisir de pointer du doigt les gens inutiles, qui ne méritent pas, ou ceux qui ne se remettent pas dans le contexte. Même si tu réussis, tu ne fais pas du rap. Un groupe comme 1995 c’est un boys band  ! Tu regardes ce qui se passe en concert, les gens ne crient que pour le boule à Nekfeu.

 

 Ils ne font pas de la musique, mais de la stratégie !

 

Pour toi, il n’y a jamais eu d’activisme dans le rap français ?
Y’en a pratiquement pas. Par exemple je déteste Assassin, c’est inaudible musicalement, à part au début. Mais la dernière fois, il était invité sur Canal+ et il a changé son morceau alors que ce n’était pas prévu. Il a pris ses couilles et ça je respecte. Je sur-respecte. Je respecte les gens qui n’ont rien à perdre, pour de la diffusion ou je ne sais quoi. Les gens veulent tous rentrer dans ce délire « on passe bien à l’écran, faut se mettre bien avec tout le monde » : ils ne font pas de la musique, mais de la stratégie ! Si tu réfléchis avec stratégie quand tu fais ta musique, tu ne fais plus de la musique mais de la stratégie ! La musique, c’est intuitif, c’est un truc que tu gerbes. Tu n’anticipes pas pour que ça soit « pris » par quelqu’un. À mon sens, c’est le plus grand des mensonges. Peut-être que je me trompe, mais un mec qui fait de la musique le fait pour lui, j’en suis persuadé. Je n’ai pas honte de te l’admettre, j’ai fait de la musique pour me le prouver à moi-même, c’est sur la route que j’ai découvert que j’avais un public, des gens qui kiffaient et me soulevaient. Je n’imaginais pas ça ! Tu te rends compte après que des gens écoutent, tu as un pouvoir. Soit tu continues dans le droit chemin, tu ne te travestis pas, ou tu fais comme 98% des mecs arrivés avec le cœur musical, et qui dès qu’ils ont connu l’argent, les avances, la diffusion etc. ont réfléchi leur deuxième album avec stratégie. Paix à leur âme !

Si on prend le raisonnement inverse, c’est à dire commencer par établir une stratégie pour ensuite faire passer le vrai message une fois au top, parce que tu le dis très bien, aujourd’hui c’est le seul moyen d’avoir une visibilité médiatique en France …
Mais c’est totalement faux ça, c’est complètement faux. C’est faux et puis tu le vois avec le nombre de mecs en chien sur Facebook. Sur Facebook, t’es chez toi, tu rappes, les gens te parlent en liens déjà. Ça c’est malpoli. Le mec qui te parle et qui t’envoie un lien « tiens, écoute », je lui réponds même pas, j’ai envie de lui dire « fils de pute ». Tu parles comme ça à des vieux, toi ? Tu vois ce que je veux dire ou pas, non ! Il faut vraiment pointer du doigt les gens maintenant. C’est ça le gros problème de ce pays. Je vais expliquer, te le redire: la musique, c’est comme le social en France, c’est la même chose. C’est à dire 90% de gens inutiles et abrutis qui sont à un poste qu’ils ne connaissent même pas. Par exemple, tu prends une assistante sociale. Toute la journée, l’assistante sociale en France voit des meufs arriver avec des enfants et qui leurs disent « mon mari m’a tapé, mon mari m’a tapé ». Toutes ces assistantes sociales ne vérifient jamais si c’est vrai ou pas. Et, par bonne conscience – parce que normalement ton métier c’est de vérifier les dires de la personne. Dans un pays de féministes et d’abrutis, c’est un autre truc qui se passe tu vois. Il se passe quoi ? Il se passe que la meuf qui est inutile, qui a pris 50 cafés dans la journée, cette assistante sociale de merde, qui a parlé de son coup avec son mari machin, quand elle voit la meuf qui fait meskine, elle va se donner bonne conscience. Elle va se dire, tiens, je l’ai aidée. La vérité c’est que tu t’es fait carotter comme tout le monde, comme tous les gens, comme la plupart des assistantes sociales. Tu as donné de l’argent à quelqu’un à qui tu ne devais pas donner. Pourquoi ? Parce que tu n’as pas fait ton métier, tu n’as pas vérifié. Le social en France, s’il en est là, c’est parce qu’il y a des abrutis tous les mètres. Les mêmes qu’il y a au Trésor Public, les mêmes.

Dans la musique, c’est pareil, tu vas voir des gens de majors, des gens du business… Imagine, y a une major qui va vouloir me signer mais elle sait pas ce qu’est la deep house. Tu imagines quand même ? Tu fais de la musique tu ne sais pas ce que c’est que la deep house ? Ou alors tu vas arriver, tu vas voir que des gens qui sont là, qui se donnent un statut social plus élevé. Ces gens-là ne savent pas ce qu’est leur taf. Parce qu’ils viennent de trouver un tag de D.A. chez Universal ou je ne sais pas quoi, ils se la racontent. Comme tous ces gens qui sont à Paname, qui sont dans tous les trucs de pique-assiette. Sauf que la réalité déjà, c’est qu’ils gagnent 1800€ ou 2000 balles. Déjà tu te la racontes D.A. mais tu touches 1800€ t’es un bouffon. Ce genre de peuple là, c’est les gens qui peuplent Paris. C’est tous les gens que tu croises en soirée qui te disent « je suis D.A., je suis cinéaste,je suis machin… » et puis qui vont te faire « non mais tu sais, la musique… » et qui vont se taper une grosse trace de coke après. C’est que des gens malsains, qui servent à rien, qui sont mauvais, qui prennent le temps de hater les choses mais jamais de relever quand c’est bon. Quand c’est bon, ils vont tous fonctionner comme des arrivistes de merde et aller sur le truc en disant « je te signe, je te signe ». Tout ça c’est des gens qui font perdre du temps à la musique, à l’artiste, à l’humain. C’est pour ça qu’aujourd’hui c’est le non-sens total la musique. Tu crois que la musique remonte mais elle est pas en train de remonter, c’est juste que le MP3 est un petit peu monté alors du coup les majors font « wah, chan-mé ! » et du coup, ils investissent et ils perdent des sommes de ouf.

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Que penses-tu du revival du boom-bap, retour d’une scène française… c’est du vent ?
C’est du vent, il y a un groupe qui est sorti, c’est un boys band ! Tu prends les mecs de ce groupe-là en solo, ça n’atteint pas des chiffres de ouf, que dalle ! Même eux le savent, ils le savent maintenant. Les gens ne comprennent pas. 1995, machin, le renouveau, tout ça, c’est arrivé à cause de l’abrutissement de masse Internet, Rap Contenders, Facebook. C’est-à-dire, « pipi, caca, caca, pipi, pipi, caca. Ta mère la pute, ta mère la pute, ta mère la pute. » Qu’est-ce qu’il y a de bien là-dedans, en vrai ? Qu’est-ce qu’il y a d’intelligent ? C’est super ce que ça a fait au rap. Ça a fait que maintenant, trois ans après ce renouveau-là, tous les jeunes veulent arrêter leurs études pour faire du rap, parce qu’ils pensent qu’il y a de l’argent. Alors que les mecs qu’ils sont en train de regarder dans les vidéos n’ont même pas d’argent.

En fait Internet a amené une fausse alternative à Skyrock ?
Totalement, ça a même amené d’autres fausses alternatives. Après, les diffuseurs, les Skyrock, les machins, tu t’en bats les couilles. Moi par exemple, je fais du rap spé, je fais du deepkho, je vais jamais estimer que c’est possible que Skyrock passe des sons de techniciens. Skyrock ne peut pas passer de sons de techniciens pour la simple et bonne raison que Skyrock c’est du caca pour enfant de 17 piges. Les mecs qui vendent en major, c’est du caca pour enfant de 17 piges. C’est-à-dire que la cible c’est 15-17. Quand t’as 15-17 ans, tu connais quoi en musique ?

 

À mon époque les enfants de 20 piges ne prenaient pas de cocaïne, aujourd’hui ils en prennent tous, c’est normal. À l’époque, tu te faisais frapper par ton grand frère quand tu prenais de la cocaïne. Pour de vrai. Aujourd’hui, ce sont les grands frères qui vont vendre de la cocaïne aux petits parce que ça les arrangent.

 

Pas grand chose ?
On est d’accord. Donc tu prends ce que tu reçois. Et si tout le monde se suit, qu’est-ce que tu vas faire pour ressembler à tes copains ? Tu vas les suivre, tu vas faire comme eux. Alors que les jeunes de mon époque, mes grands frères et tout ça, y en a aucun qui a fait ça. Aucun qui a fait ça. Tout le monde faisait « ah ouais j’aime bien, c’est qui qui a fait ça ? Vas-y, je fouille ça, je fais ça… ». Alors que là, c’est ridicule, ça frise le ridicule absolu. T’imagines le cas de figure ? Faut le dire à tous ces jeunes qui vont vous lire. T’es là, t’as fait ton abruti de jeune qui est sûr de lui, comme tous ces jeunes que tu vois de 18 ans à 22 ans qui disent « ouais mais moi je vais prouver au monde entier que je suis le meilleur ». Super, y a pas de problème. Je te souhaite de réussir. Mais le problème, c’est que t’as envie de dire au mec de 22 piges « moi je suis papa, gros ». Moi j’ai deux enfants, et j’ai vu des milliards de mecs me dire « fais pas ça ». Et je les ai écouté, parce qu’ils avaient raison. Parce que quand je les ai pas écouté, je me suis planté violemment. Pour d’autres trucs de la vie, tu vois. Regarde, y a qui pour dire à quelqu’un que ce qu’il fait n’est pas bien ? Ça arrangent tout le monde, le monde du faux, le monde du Facebook, le monde de « je me vois à travers ça », le monde des majors pourries, le monde de Paname.

Tout le monde à Paname a deux identités, c’est de la vraie schizophrénie cette ville. T’as des gens qui travaillent, et le week-end ils s’habillent comme ce qu’ils voudraient être. C’est deux trucs différents, c’est pas leur life, c’est pas leur manière d’être habillé, la réalité c’est pas ça. Tu vois que des gens comme ça ! Pourquoi autant de parisiens sont partis de Paris ? Pourquoi un nombre de ouf de parisiens est parti sur les six dernières années ? C’est pas Paris ici ! Moi, je suis de Paname, c’est pas Paris, gros. C’est Bobo city, fils de pute et cocaïne. Ça fait honte, voilà. Vampire, c’est aussi pour tout ça. Parce que le milieu de la musique, le milieu de la nuit, le milieu des majors, ça ne m’intéresse pas. Dès que je vois un mec d’une major, j’ai envie de lui mettre une tarte dans sa gueule et lui faire « et là, tes idées sont en place, bâtard ?! » Parce que ça me fait rire. Je ne comprends pas l’intérêt de fréquenter que des brasseurs de vent, des spéculateurs cocaïnés qui ne connaissent rien à la life et qui ne sont que dans l’arrivisme, l’opportunisme ou la copie. Et puis ces gens-là ne sont pas intéressants. Les gens de la nuit « ouais tape une trace, viens on va baiser celle-là… » mais ça ne m’intéresse pas ! Ça ne m’a jamais intéressé. C’est malsain. À mon époque les enfants de 20 piges ne prenaient pas de cocaïne, aujourd’hui ils en prennent tous, c’est normal. À l’époque, tu te faisais frapper par ton grand frère quand tu prenais de la cocaïne. Pour de vrai. Aujourd’hui, ce sont les grands frères qui vont vendre de la cocaïne aux petits parce que ça les arrange. Je te dis, c’est le monde du faux ici et ça arrange tout le monde. C’est pour ça que moi j’ai cette réputation de ouf, parce que je dis tout haut ce que tout le monde pense tout bas ! Je dis la vérité. Mais si je dis la vérité trop haut, ça ne va pas arranger le business de machin… Et si tout le monde commence à penser comme ça, compte le nombre de business qui ne vont plus exister.

Mais justement, c’est paradoxal, parce que tu as un discours qui est clairement engagé, qui peut potentiellement refroidir beaucoup de monde dans les milieux médiatiques. En revanche, tu es hyper sollicité par les marques…
[le coupant] Je t’ai dit, il y a deux choses dans la vie. Moi, j’ai un métier, je suis une caillera. Que ça soit clair, c’est pas paradoxal. Les gens n’ont pas compris ça. J’ai une passion, c’est le rap, d’accord ? J’ai un métier, c’est le design, d’accord ? J’ai choisi mon métier, j’ai choisi d’être une caillera de capitaliste de ouf avec les capitalistes. Être une caillera, tu vois ?

Quand je disais paradoxal, ce n’est pas de ton côté. Je conçois parfaitement le fait que d’un côté il faille manger, de l’autre vivre et faire ce qu’on a envie de faire. En revanche, on pourrait penser que les annonceurs soient refroidis par ton discours.
Mais c’est pour ça que je parle de plus en plus mal. J’ai travaillé pour toutes les boîtes à Paname, puis à un moment je me suis cassé. Il n’y a que deux agences pour qui je travaille en France. Parce que maintenant, quand on m’appelle, je vais t’expliquer ce que je réponds. On pourrait croire que je me la raconte, je me la raconte juste pas. Je dis juste la vérité, parce que j’ai de l’expérience. Quand untel m’appelle et me dit « j’ai un super projet artistique pour toi, alors on va faire ça, on va faire ça… », je réponds ça: « nique ta mère, salut. Je ne travaille pas avec toi ». Ils me font « mais pourquoi ? » – Juste parce que ton mail, de meuf d’agence de com, m’a fatigué. T’es fatigante, ça va être une embrouille avec toi. Je vais travailler avec toi, tu vas me demander de changer ça, puis ça. Tu vas faire comme toutes les boîtes. À la fin, tu m’auras demandé de travailler 24 heures sur 24 et après je vais devoir attendre six mois pour être payé, tu vas me mettre dans une position de chien alors que c’est pas comme ça qu’on traite les gens. Tu vois ? C’est trop facile. La plupart des marques françaises je ne travaille plus avec eux. Je travaille qu’avec l’étranger. Parce que les étrangers c’est premier mail, deuxième mail, troisième mail, emballé c’est pesé. C’est du sérieux.

Au bout d’un moment, quand tu as travaillé 5 ans avec des abrutis, tu sais ce que tu fais ? Quand tu reçois une proposition de taff, tu fais « je te baise ». Ça te fait du bien. Pour toutes les fois où t’as été dans une situation où on t’a traité comme une sous-merde, tu les traites comme des bâtards. « Oui vous avez un super projet, c’est quoi votre projet ? Faire un sticker Grems pour mettre sur un clavier d’ordi ? Hohoho ! C’est bien comme idée tu trouves ? – Ah ouais c’est génial – Bah écoute ça sera sans moi parce que c’est l’idée la plus pourrie que j’ai eu ce mois-ci. Au revoir, salut ! ». Faut leur dire, ça va les aider. C’est pas méchant mais c’est vrai. À côté t’as des mecs qui proposent des projets de ouf, ils arrivent en te disant « on veut du Grems, comment ça peut se passer… ». Là tu brainstorm, là tu travailles. Y a des idées, je travaille quatre mois dessus avec le client, on arrête pas de s’envoyer des trucs. Parce qu’il y a un accord, parce que le client a des oreilles, le client comprend comment je travaille. Quand je travaille pour quelqu’un, je fais pas mon travail… je me rends indispensable. Ça veut dire que si je disparais, c’est la merde. C’est ça le but du travail, c’est comme ça qu’on m’a appris le travail en général.

 

Je pense qu’il ne faut pas saouler l’auditeur. Entre saouler et frustrer, le choix est vite fait. Je voulais vraiment frustrer quoi.

Sur Vampire, il y a des morceaux qui sont frustrants car volontairement très courts. On sent que tu veux te démarquer complètement du canon morceau de 3-4 minutes, couplet-refrain-couplet-refrain.
J’ai toujours fait des albums avec des morceaux très courts. Quand tu mélanges du chargé avec du chargé, il faut réfléchir. Ça fait longtemps que je fais cette recette, ça fait 9 ans que je mélange rap et house. Son chargé, puis mon rap est dense et chargé… musicalement, tu fais des erreurs. Par exemple, un morceau comme « Airmax », tout le monde me dit il est génial. Quand tu me demandes mon avis maintenant, je dis que oui, la prod est géniale, mon rap est génial, par contre les deux ne vont pas ensemble. Pourquoi ? Parce que c’est du bruit. Je suis conscient qu’il y a des gens qui aiment bien le bruit mais moi ce n’est pas ce que j’aime. Donc j’ai fait des choix artistiques. Je pense qu’il ne faut pas saouler l’auditeur. Entre saouler et frustrer, le choix est vite fait. Je voulais vraiment frustrer quoi.

Y a des morceaux qui s’achèvent alors qu’on a l’impression d’atteindre le climax …
C’est toujours comme ça, il faut frustrer. Moi, j’adore les albums de Madlib, les albums où des fois tu as des petites interludes, tu comprends pas, t’es véner contre le mec. Si j’ai réussi à te véner comme on m’a véner, franchement je suis le plus heureux du monde. Le nombre de fois où je me suis dit « putain, pourquoi il l’a pas mis entier ce son-là ?! » J’ai pas fait cet album par stratégie. Je l’ai fait comme chacun de mes albums, par cohérence. C’est-à-dire, ma cohérence à moi. C’est pour ça qu’il y a treize morceaux. On me dit « ouais mais y a d’autres morceaux en plus », les autres morceaux en plus c’est de l’acquis, du déjà fait.

Tu parles de cette histoire d’album promotionnel qui a été envoyé aux médias avant le véritable disque et qui est un condensé d’inédits ?
Oui, un condensé d’inédits qui traîne, parce que justement je voulais pas les mettre sur l’album parce que je me disais « tiens, cet exercice là je l’ai déjà fait, tiens, celui-là aussi… ». Ils sont bons les morceaux, mais ça rejoint ce que je te disais tout à l’heure, le fait d’arrêter les solos. C’est bon ça, je l’ai déjà fait, je vais pas le refaire. Alors OK, c’est agréable. Dans ces cas-là je le donne, il est bien fait. Mais y a rien de nouveau, tu vois ? Alors que dans l’album, y a un truc nouveau que je me suis découvert dans la manière de rapper. Y a surtout trois morceaux qui ont un nouveau flow, que même moi je me suis surpris à faire. J’étais content.

Niveau flow, j’ai été impressionné par le track éponyme « Vampire », la prod semble très complexe à travailler, avec des nappes…
Pour moi, c’est hyper simple. Je l’entends, je le vois tout de suite le truc. Parce que je suis fan de cette musique-là. Pour moi tout est juste et pas trop chargé. C’est UK. Après faut connaître ce que fait le bonhomme. Par exemple, je suis fan de Simbad. J’étais fan de lui, je kiffais de ouf et un jour j’ai eu la chance de devenir son ami. On a fait un autre disque après et voilà. Enfin, c’est un peu incroyable, j’étais fan de ce mec-là, mais je savais même pas qu’il parlait français, qu’il était à moitié français. À partir de ce moment-là, quand t’as l’occasion d’avoir un son dont t’es fan, quand tu le reçois tu planes quoi.

Est-ce que tu as mené toutes les expériences qui te tenaient à cœur ?
Oui

L’aventure en solo s’achève. Comment tu vois la suite de ta carrière, tu as envie de mettre des gens en avant ?
Surtout pas, c’est la dernière des choses que j’ai envie de faire. C’est la chose que j’ai fait pendant toute ma life et je me suis fait baisé par tout le monde. Surtout dans le rap, d’où Vampire. Donc, j’ai pas du tout envie, que ça soit la petite génération de 1995 qui sont venus nous sucer la bite ou autres. Non, c’est mort. Franchement, l’irrespect, l’arrivisme et en plus pour en arriver à ça. Tout ce que je leur ai appris, tout ce qu’ils en ont retenu c’est le swagg, l’oseille, les baskets, l’intérêt personnel, le nombril… Franchement non, ça va. J’ai pas envie du tout de pousser qui que ce soit. À part mes deux petites filles. Je vois pas l’intérêt quoi. Ou alors peut-être me concentrer plus sur mes amis. Mes vrais amis. Les gens qui ont été sur la routes depuis le début. Aider ceux qui le méritent. Ils sont très peu, mais être là pour eux. Y a déjà un rôle de pote qui est dur à assumer et j’espère que je vais bien l’assumer.

Est-ce qu’il y a des featurings que tu n’as pas eu, dont tu rêves encore ? Quelqu’un que tu admires ?
Wiley. J’aimerais bien faire un feat avec Wiley. Après ça ira. Mais je m’en suis fait pas mal, t’as vu. Franchement, j’ai été validé par Ill des X-Men, Wildchild, les Beggars, des potos avec qui y a eu 12 morceaux… Je suis tranquille.

Un bonus track avec 20Syl aussi qui correspond un peu à la rencontre de deux cultures alternatives du rap …
Et pourtant on est totalement pareil, puisqu’on on a tous les deux fait les beaux-arts. Si tu regardes bien, c’est deux manières différentes de voir le truc, mais tout aussi passionnées. La rencontre s’est faite via des amis en commun. J’ai un ami qui est aussi un ami à lui. Moi, je marche vraiment à l’humain. L’humain avant le business. Je trouve le mec cool, il me trouve cool, ça s’est fait naturellement.

Du coup, quels sont tes prochains défis ?
J’ai pas de défis, à part sauver la planète !

Bonus : le récap vidéo de son live de fou à la Gaîté Lyrique, par nos collègues de Dasswassup.

Un grand merci à Mathieu de Musicast qui a rendu cet entretien possible.

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