Montana of 300, la plume glaciale de Chicago

jeudi 3 mars 2016, par Kévin.
Chicago est un territoire sauvage qui bénéficie d’un vrai regain d’attention, notamment depuis que le mégalomane Kanye West a présenté au monde un jeune qui n’aimait rien nommé Chief Keef. De tous les artistes qui dessinent le paysage rap de cette ville, Montana of 300 présente un profil plus atypique que les autres. Le rappeur de Chi-Town ne bénéficie que d’une couverture médiatique faible autour de ses sorties et enchaîne pourtant les millions de vues par vidéo sur Youtube. Focus.

Montana of 300 n’est pas un homme d’étiquettes. Difficile de le rattacher à un profil type, de le faire rentrer dans un moule marqué d’un nom. Musicalement, sa livraison enflammée, parfois sous autotune, le rapproche de certains rappeurs de sa ville natale, la bien nommée Chi-Raq. La hargne de Meek Mill ou Waka Flocka en plus. On s’attend logiquement à rencontrer un autre de ces rappeurs au passif guerrier. L’un de ceux qui nous feraient changer de trottoir quand on le croise dans la rue – ceux qui ont un peu trop écouté Fredo Santana comprendront. Quand on creuse autour de lui, on se rend pourtant compte que la réalité est plus subtile. Montana aurait pu être footballeur professionnel, est un croyant éclairé, a fait le choix de rester sobre et ne jure que par Lil Wayne. N’insistons pas, rangeons les étiquettes.

Kanye, Rick et les autres

Montana of 300. Trois chiffres qui distinguent un spartiate du micro. Trois chiffres qui représentent aussi une tristement célèbre organisation criminelle de Chicago. N’en déplaise à Chief Keef, affilié notoire de ce syndicat, pestant contre l’utilisation de ce symbole par le rappeur : celui-ci portera ce double sens dans son blaze. Adolescent, le jeune Montana hésite entre la NFL et le rap. Plutôt doué dans l’un comme dans l’autre, il choisit de saisir le micro plutôt que les crampons. La raison est simple : il estime être un joueur de football décent sans être exceptionnel, tandis qu’il pense pouvoir faire partie des tout meilleurs rappeurs sortant du lot. Une case de cochée dans le manuel de l’aspirant rappeur en recherche d’égo.

En Septembre 2015, Montana of 300 annonce fièrement sur les réseaux sociaux avoir passé la journée dans la villa de Kanye West, en compagnie de l’influent Rick Rubin. Ont-ils pris le temps de parler musique, entre deux parties de babyfoot ? On sait que Kanye entretient une relation particulière avec les artistes de sa ville natale. Chief Keef ou King Louie lui doivent une partie de leur résonance actuelle. Montana of 300 a-t-il de quoi être le prochain sur cette liste ? A en croire le bonhomme, ce n’est pas le cas. Il aurait décliné poliment l’approche de Kanye, et même un deal avec Rick Rubin. Vous avez dit intégrité ?

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Si le jeune rappeur se permet de refuser ses avances, n’y voyez surtout pas de suicide commercial. Dans un monde où le nombre de vues sur Youtube est l’un des indicateurs de la popularité d’un rappeur, Montana maîtrise le jeu haut la main. Toutes ses vidéos cumulent plusieurs millions de vues. Pas suffisamment pour devenir un de ces « kings of the Youtube » raillés par Pusha T, mais assez pour forcer le respect. Son exposition médiatique est pourtant très faible, en témoigne sa dernière mixtape Gunz N Roses, qui n’a été relayée par aucun site majeur. Même les 80000 téléchargements sur Datpiff de la bien nommée Cursed With A Blessing n’arrivent pas à la cheville de son succès en vidéo.

Le noble art du remix

On devine qu’une bonne partie de son public vient de Chicago, mais aussi qu’il a su séduire une audience large grâce à un rap intransigeant et authentique. Cette authenticité lui aura valu d’apparaître dans la série ambivalente Empire. Il y joua un prisonnier et refusa de rapper en solo dans sa scène car les producteurs voulaient lui imposer des textes écrits par Petey Pablo plutôt que les siens. Ces textes crus, la plume greffée au cœur, Montana en a fait sa marque de fabrique.

On a tendance à se méfier des remix des gros singles mainstream, qui attirent les rappeurs en quête d’attention comme un essaim de mouches affamé. Grave erreur, car chez Montana of 300, ce sont dans ces remix que se cache toute la saveur. Ses travaux sont des diamants bruts qui perdraient de leur éclat à être polis. Eloigné de toute considération radio-friendly, c’est à travers cette chevauchée de freestyles qu’il a établi son profil d’artilleur d’élite. Son remix qui accumule le plus de vues est celui de « Chiraq », et sa bagatelle de 12,5 millions de vues. Âmes sensibles et autres vegans du microphone s’abstenir. Au supermarché, le morceau serait à caler dans une étagère au rayon boucherie, entre deux tranches de barbaque bien saignantes.

Montana of 300 ne se lasse pas de ces versions alternatives qui tapent fort et dans le mille à chaque sortie. « White Iverson », « Try Me », « Coco », « Hot Nigga »… Il se fait un plaisir de détourner les hits les plus populaires. Le plus souvent, ses livraisons sont un enchainement d’uppercuts et de crochets dont on sort un peu groggy. Un bon 9 est atteint sur l’échelle de Richter, et ce plusieurs fois par morceau. Et là encore, les chiffres de vues donnent bien souvent le vertige. Montana, c’est un peu notre pote qui ne peut pas s’empêcher de rapper sur toutes les instrus qu’il trouve. On y trouve une sorte d’authenticité, et on a finalement l’impression de le connaître personnellement en ayant écouté quelques morceaux seulement. Pas d’inquiétude, Montana of 300 concocte également de la musique de son cru.

Chicago’s Coldest

« Ratchets on deck passing pistols to my mans / Three killers with me with ski masks in the van / We gon’pull up like the ice cream truck.» Pas le genre de comptine au taux de sucre dangereusement proche de celui des crèmes glacées qu’on s’attend à trouver dans les parages d’un marchand de glaces. « Ice Cream Truck » est pourtant le plus gros succès de Montana à ce jour, un rap faussement entraînant qui emprisonne dans un froid mordant la réalité crue des quartiers de Chicago. Pas pour rien que Kanye aurait affirmé : « he got the coldest bars I’ve ever heard.» Le rap de Montana comprend son lot de violence et d’agressivité pure. Une certaine distance l’en détache aussi. En interview, le rappeur développe pour qui veut l’entendre son goût prononcé pour l’écriture et la métaphore.

Cet attachement profond à l’image originale et à la phrase à tiroirs, il le tient de son écoute attentive des mixtapes de Lil Wayne entre les Carter 2 et 3. On ne va pas se le cacher, il lui reste encore un peu de travail pour trouver cette subtilité d’écriture à laquelle il aspire tant. Mais sa plume est déjà marquée d’un certain mordant. Sur le brûlot « Holy Ghost », où il rappe comme s’il avait le diable aux trousses pendant six minutes, il file la métaphore mystique. « I’m so fucking hot, boy the devil better be scared of this / God flow, ya know heaven is where my level is / Wings up in the sky, man this guy is flyer than Pegasus.» Quelques mesures plus loin, son instinct de footballeur ressurgit lorsqu’il tacle l’histoire des USA : « Just cause it’s published in a book, it doesn’t mean it’s a fact / Now listen, cause man we wasn’t allowed to read on them plantations / 300 years, had my people growing impatient.»

La religion revient souvent dans ses propos. Dans une interview pour Passion of the Weiss, il se définit comme croyant sans être attaché à un culte en particulier. Il se fiche d’ailleurs de savoir s’il se trompe sur l’existence de Dieu, tant que la prière lui permet de garder l’équilibre et l’esprit sain. Un bel exemple d’ouverture au monde à l’heure où les rappeurs semblent souvent manquer de recul sur leurs propres attitudes. Ce mode de vie en décalage avec les carcans habituels du rap de gangster, il le cultive et le revendique. Rarement couvert de bijoux, on le retrouve souvent entouré de la même clique dans ses clips. Une mère accro au crack et un père alcoolique l’ont dégouté à vie des substances qui mettent dans un état second. Son exutoire, il le trouve dans la musique, tapant dans les instrus comme dans un punching ball. Et tant pis s’il en laisse quelques uns sur le carreau.

Montana est un bon exemple de rappeur inscrit dans son époque. Sortant un premier album en Mai, il ne se souciera sûrement pas des ventes de disques et ne s’adresse qu’à son public, qui croît à vue d’œil. Artilleur implacable et souvent très énervé, son œuvre ne s’écoute pas d’une longue traite. Elle est plutôt constituée de morceaux que l’on revoit en boucle pour en capter toute l’énergie et la rage non contenue. A l’heure où vous lirez ces lignes, Montana of 300 aura peut-être sorti un nouveau clip. Quel que soit son niveau d’intensité, une chose est sûre : le compteur des vues affichera sept chiffres.

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